AprÚsla lecture de son poÚme "L'hußtre", il en fait une analyse détaillée. Francis PONGE évoque tout d'abord la "classification" de ces oeuvres. Puis il s'exprime sur son livre "Le Parti pris des choses".
LE PARTI PRIS DES CHOSES, Francis PongeFiche de lectureCarte mentaleĂlargissez votre recherche dans UniversalisLes objeux »Qu'y a-t-il de moins commode Ă ouvrir au jour de la parole qu'une huĂźtre ? C'est un monde opiniĂątrement clos » L'HuĂźtre ». Or il s'agit de rendre ou refaire » ce monde â Ă tous les sens du mots refaire » â, c'est-Ă -dire produire une rĂ©alitĂ© de paroles qui tiendra » face Ă l'objet considĂ©rĂ©. Mais il faut aussi se plier, grĂące Ă une ascĂšse des moyens, au rĂ©el dont il aura Ă©tĂ© pris le parti. Il faut enfin accepter dans la distance, non exempte d'ironie ou d'humour, l'Ă©chec des tentatives. Ainsi Le galet » se conclut-il par cette phrase supposĂ©e provenir de critiques Ayant entrepris d'Ă©crire une description de la pierre, il s'empĂȘtra ». Trouver la formule » correspondant au mieux Ă la chose exige un lent travail sur la matiĂšre mĂȘme du langage, Ă©paisseur des choses » et Ă©paisseur sĂ©mantique des mots » devant aller Ă la rencontre l'une de l'autre. PARTI PRIS DES CHOSES Ă©gale COMPTE TENU DES MOTS » La Rage de l'expression, 1952. Le dire poĂ©tique est une rĂ©crĂ©ation » productrice d' objeux » dont Ponge n'aura de cesse de fournir, jusqu'Ă la fin, de nombreux exemples Le Savon, 1967 ; La Table, 1982.Avec Le Parti pris des choses, Ponge donne le ton d'une Ćuvre que, solitairement, il a su faire jouer avec d'infinies subtilitĂ©s dans tous les registres, sous tous les rĂ©gimes. Aux buissons typographiques constituĂ©s par le poĂšme sur une route qui ne mĂšne hors des choses ni Ă l'esprit, certains fruits sont formĂ©s d'une agglomĂ©ration de sphĂšres qu'une goutte d'encre remplit. » Le Parti pris des choses, Les MĂ»res ».1 2 3 4 5 âŠpour nos abonnĂ©s, lâarticle se compose de 2 pagesĂcrit par professeur de philosophieClassificationLittĂ©raturesĆuvres littĂ©rairesĆuvres littĂ©raires du xxe s. et du xxie s. en OccidentLittĂ©raturesĆuvres littĂ©rairesĆuvres littĂ©raires par genresĆuvres poĂ©tiquesAutres rĂ©fĂ©rences LE PARTI PRIS DES CHOSES, Francis Ponge » est Ă©galement traitĂ© dans DESCRIPTION, notion deĂcrit par Elsa MARPEAU âą 987 mots La description permet de donner Ă voir en imagination, grĂące au langage. Elle constitue une pause, un contretemps dans le flux du rĂ©cit. Sa finalitĂ© reprĂ©sentative semble ainsi l'opposer aux visĂ©es narratives de ce dernier. Toutefois, cette distinction thĂ©orique est plus complexe dans la pratique, oĂč il s'avĂšre parfois malaisĂ© de distinguer rĂ©cit et description. C'est pourquoi, selon GĂ©rard Genet [âŠ] Lire la suitePONGE FRANCIS 1899-1988Ăcrit par Michel COLLOT âą 2 416 mots Dans le chapitre Un itinĂ©raire exemplaire et original » [âŠ] NĂ© Ă montpellier dans une famille protestante nĂźmoise, et ayant vĂ©cu son enfance Ă Avignon, Ponge dit avoir gardĂ© de ses premiĂšres annĂ©es une double imprĂ©gnation », sensible et intellectuelle, au contact de la nature mĂ©diterranĂ©enne et des monuments de la culture latine. Il a dĂ©couvert trĂšs tĂŽt dans la bibliothĂšque de son pĂšre le LittrĂ© , qui restera pour lui un instrument de travail privilĂ©giĂ©. [âŠ] Lire la suiteRecevez les offres exclusives Universalis Pour citer lâarticleFrancis WYBRANDS, LE PARTI PRIS DES CHOSES, Francis Ponge - Fiche de lecture », EncyclopĂŠdia Universalis [en ligne], consultĂ© le 25 aoĂ»t 2022. URL
Leparti pris des choses. Ponge Françis. PoĂ©sie, Théùtre, Lettres. RĂ©fĂ©rence : 2 145. Ăditeur : Gallimard Collection : "PoĂ©sie" Date de parution : 2000. QuatriĂšme de couverture: L'huĂźtre L'huĂźtre, de la grosseur d'un galet moyen, est d'une apparence plus rugueuse, d'une couleur moins unie, brillamment blanchĂątre. C'est un monde opiniĂątrement clos. Pourtant on peut l'ouvrir : il
Table des matiĂšres PrĂ©face, par Vincent Carraud. IntroductionAvertissement Le chant XXVI de lâEnferCommentaireVirgile, Dante, Ulysse, DiomĂšdeLe rĂ©cit dâUlysse La brĂšve oraison » dâUlysseLe vol fou dâUlysse PremiĂšre tire dâailes pour un vol fou⊠Chapitre premier1 - La thĂ©orie des quatre sensLe Banquet ConvitoLa Lettre Ă Cangrande della Scala2 - AllĂ©gorĂšse et exploration du mondeLâallĂ©gorie nĂ©oplatonicienne Nature aime Ă se cacher »LâAntre des Nymphes Chapitre II1 - CosmologieLa disparate du mondeLa structure gĂ©nĂ©rale du mondeLa prĂ©cession des Ă©quinoxesLa thĂ©orie de la trĂ©pidationLâimage du monde de Dante2 - GĂ©ographieLa figure de la TerreLa question des antipodes et le monde habitableLes mers et les continentsLe tracĂ© des cĂŽtes et lâocĂ©anLa figure des terres Ă©mergĂ©esLâocĂ©an Chapitre III1 - HistoireQuestions de mĂ©thode Lâesperienza [âŠ] del mondo senza gente »Histoire et progrĂšsLa lĂ©gitimitĂ© des Temps modernesLes Colonnes dâHerculeLâeffondrement de la confiance cosmique2 - Du dĂ©sir de connaĂźtre Ă la curiositĂ©Un dĂ©sir inscrit dans la nature humainePĂ©rĂ©grinations dâun dĂ©sir naturelVoirLes tribulations du dĂ©sir de savoirLa lĂ©gende des SirĂšnesLâascension du mont VentouxDescente dans les cavernes de lâEtnaUne curiositĂ© sans limites3 - Au delĂ de Dante, les Temps modernesLa modernitĂ© Ă lâaube des Temps modernesNicolas de CuesGiordano BrunoLâacquisition de la modernitĂ©Francis BaconLe cas DescartesLa modernitĂ© au dĂ©clin des Temps modernesGeorg Henrik Von Wright DeuxiĂšme partie.⊠lors fut la mer par-dessus nous reclose Chapitre IV1 - Lâastucieux Ulysse2 - AprĂšs HomĂšreLâhomo viator et le retour des SirĂšnesLâĂ©puisement de la figure homĂ©rique dâUlysseMouvement centripĂšte et mouvement centrifuge3 - LâUlysse de DanteLâouverture de la base homĂ©riqueDe la curiositĂ© Ă la dĂ©mesure4 - AprĂšs Dante Ce grand Ă©vĂ©nement qui parmi vous se tait »La fĂ©e Andronica, lâAriostoTorquato TassoLe retour Ă lâintĂ©rioritĂ©Lâinspiration lĂ©opardienneUlysse, le hĂ©ros extĂ©nuĂ©Alfred TennysonArturo GrafGiovanni PascoliSur le Pequod, Ă la poursuite de lâabsolu Chapitre V1 - MĂ©taphoresLâocĂ©an, mĂ©taphore de lâinfiniLa navigationLa conquĂȘte des mersAutres navigations2 - Naufrage et existenceNaufrage et histoireLa mort en merĂtre spectateurLa situation du rescapĂ©RobinsonExister avec le naufrageSeuls Ă seuls avec lâocĂ©anCuriositĂ© et engagement dans le monde3 - TransmissionLa transmission difficile Quelque chose de gigantesque⊠»Le passeur Ăpilogue1 - Aucun trĂ©passĂ© ne parle dâautre chose que de sa vie terrestreLâusage du libre arbitreNote sur la querelle du libre arbitre au XIIIe siĂšcleIl cammino della vita2 - Exploration du monde et exploration de soiAller au bout du monde Lâarchipel des Ăźles MardiLâespace labyrinthiqueAller au bout de soi-mĂȘmeAu-dessous du volcan ConclusionAu risque de la dĂ©chĂ©ance BibliographieĆuvres et textes de rĂ©fĂ©renceĂtudes Index * Extrait LâUlysse de Dante Lâouverture de la base homĂ©rique La base homĂ©rique, on lâa vu, donne Ă construire beaucoup de choses, comme des variations autour dâune structure fondamentale le retour dâUlysse. Or cette base, depuis lâĂ©poque proprement homĂ©rique des poĂšmes homĂ©riques, a considĂ©rablement Ă©voluĂ©, dans de multiples directions. DĂšs lâAntiquitĂ© classique, et bien plus encore au long du Moyen Ăge, elle sâest ouverte, avec des rĂ©sultats littĂ©raires au moins inĂ©gaux, souvent inattendus. Si, en gĂ©nĂ©ral, la partie consacrĂ©e aux voyages et au retour dâUlysse se maintient, la fin et la mort dâUlysse, en revanche, se perdent dans de multiples versions, enchevĂȘtrĂ©es, laissant pour ainsi dire ouverte la conclusion des poĂšmes [1]. Pour suivre Stanford [2], câest cet Ă©tat de la tradition homĂ©rique, ajoutĂ© Ă la connaissance trĂšs partielle [3] quâil en avait et Ă lâadaptability de la figure dâUlysse, qui explique que Dante a pu se sentir autorisĂ© Ă inventer de toutes piĂšces, ou presque, une fin totalement contraire Ă la structure et Ă lâesprit des poĂšmes la disparition du paradigme du retour et le renversement du mouvement centripĂšte en mouvement centrifuge, il se produit donc beaucoup plus quâun dĂ©veloppement, il y a une rupture et bel et bien une ouverture de la structure de base homĂ©rique traditionnelle. DĂ©sormais, le rĂ©cit ne se termine plus de la mĂȘme façon, et cela change tout il nâarrive pas seulement autre chose aux personnages, nous avons affaire Ă dâautres personnages, Ă un Ulysse nouveau, habitĂ© de tout autres pensĂ©es. Ainsi donc, lorsque Dante met Ă profit lâindĂ©termination reçue dâune tradition homĂ©rique lacunaire quant Ă la fin dâUlysse, il opĂšre un renversement inattendu [4] qui relĂšve presque de la provocation. La mort ocĂ©anique quâil rĂ©serve Ă son Ulysse excĂšde Ă©videmment le cadre mĂ©diterranĂ©en, mais inverse complĂštement les ressorts du personnage dâUlysse un dĂ©sir insensĂ© de connaĂźtre prend la place du mal du pays, lâáœÏÏÎč [hubris] celle de la nostalgie, le mouvement centripĂšte qui le rapproche dâIthaque devient un mouvement centrifuge. Ce renversement et cette provocation sont dâautant plus remarquables que Dante nâinvente rien. En fait, il prend au sĂ©rieux, et mĂȘme au tragique, une fin possible dâUlysse imaginĂ©e dĂšs lâAntiquitĂ© sur le mode de la fiction parodique, par Lucien de Samosate [5].Le voyage â imaginaire â au-delĂ des limites du monde connu est, ou sera, un thĂšme de fiction classique et en ce sens, le rĂ©cit de Lucien relĂšve au dĂ©part de lâintention de faire du HomĂšre Ă lâenvers et de dĂ©figurer la figure dâUlysse, il nâengage que son imagination JâĂ©cris donc sur des choses que je nâai jamais vues, des aventures que je nâai pas eues et que personne ne mâa racontĂ©es, des choses qui nâexistent pas du tout et qui ne sauraient commencer dâexister [6]. » Chez Dante, Ă supposer quâil ait connu Lucien, dont il retrouve Ă©trangement les termes mĂȘmes pour dĂ©crire le voyage dâUlysse et la tempĂȘte finale [7], cette fin â qui nâest quâun dĂ©but dans le texte de Lucien â nâa Ă©videmment rien de parodique. On voit comment elle vient dâune part boucler toute lâĂ©volution littĂ©raire du traitement du thĂšme dâUlysse, et dâautre part sâadosser au pressentiment propre Ă la fin du Moyen Ăge de lâeffondrement du cosmos. On ne sâattendait guĂšre/De voir Ulysse en cette affaire »Illustration de Jean-Baptiste Oudry, Livre X, fable II. Dante libĂšre la figure dâUlysse en la dĂ©solidarisant non seulement de la gĂ©ographie homĂ©rique mais aussi de sa teneur anthropologique plutĂŽt rassurante. Son Ulysse nâest plus lâhomme du retour, retenu sĂ©parĂ© des siens par un exil douloureux loin de son Ăźle, pĂ©tri de sentiments familiaux et ne pensant quâau bonheur fini de vivre sur sa terre natale. LâUlysse de Dante incarne une nouvelle forme de libertĂ©, inquiĂ©tante, faite de liens dĂ©chirĂ©s et dâattaches rompues, mais tĂ©moignant aussi de forces secrĂštement liĂ©es au dĂ©sir et au vertige de la transgression. Ce nâest sans doute pas assez pour en faire un moderne, ni pour justifier sans discussion la future rĂ©cupĂ©ration romantique [8], car ce hĂ©ros reste nĂ©gatif et interdit dâĆuvre ; mais câest trop pour un Moyen Ăge dont il fait craquer tous les repĂšres. Ce qui est sĂ»r, câest que la destruction de la figure homĂ©rique entraĂźne avec elle la destruction du mythe, liĂ© Ă son illustration possible dans les voyages dâUlysse, sur lequel reposera une dialectique dâapparence hĂ©gĂ©lienne, celle qui rĂ©sout les contradictions et reconduit heureusement les contraires Ă lâidentitĂ©. Ce qui sâĂ©vanouit ainsi, câest ce quâon pourrait appeler la mythologie du chez-soi, du retour Ă soi-mĂȘme Ă partir de lâĂȘtre-autre. Ce qui est fondamental avec lâUlysse de Dante, plus encore que la transgression qui dirige vers lâinfini, câest donc, si lâon considĂšre les choses du point de vue de la force qui dĂ©finit sa trajectoire â centrifuge â, le fait radicalement dĂ©stabilisant quâUlysse ne revient pas chez lui et nây reviendra jamais. Lâhomme du retour est devenu lâhomme du non-retour. LâIthaque qui symbolise le terme de tout voyage, la conclusion heureuse de toute sĂ©paration, cette Ithaque nâest plus Ă lâhorizon. Et il est clair que lâUlysse de Dante, contrairement Ă ce que dit HomĂšre dans les premiers vers de lâOdyssĂ©e, ne se soucie pas de rentrer chez lui. De lĂ rĂ©sulte le sens profond de lâĂ©vitement de cette Ă©tape dans la Divine ComĂ©die. On peut certes se demander, Ă la lecture des vers 95-97 du chant XXVI de lâEnfer, oĂč Ulysse Ă©voque ses liens familiaux et ses devoirs Ă lâĂ©gard de PĂ©nĂ©lope, sâil a lancĂ© son expĂ©dition au-delĂ des colonnes dâHercule directement aprĂšs sâĂȘtre sĂ©parĂ© de CircĂ©, ou sâil est repassĂ© Ă Ithaque, avant de repartir pour de nouvelles aventures ; mais si, comme cela semble ĂȘtre le cas, il est parti directement au grand large depuis lâĂźle de CircĂ©, alors, il est bien lâhomme du non-retour, il nâest jamais rentrĂ© chez lui. Et il convient dâinsister lâĂ©pisode de lâEnfer consacrĂ© Ă Ulysse est Ă un tel point en rupture avec la tradition homĂ©rique quâil se prĂ©sente comme mettant un terme dĂ©finitif aux aventures dâUlysse, enfermĂ© dâune part dans une figure centrifuge qui exclut tout retour Ă Ithaque, emportĂ© dâautre part, avec son navire, vers une mort en mer appelĂ©e Ă le faire disparaĂźtre dans un oubli entier. Le dernier vers du chant XXVI signifie presque explicitement que lâhistoire qui vient dâĂȘtre racontĂ©e est une histoire dont on ne parlera plus infin che l mar fu sovra noi richiuso [9] ». La chute elliptique dĂ©courage toute tentation de romantisme et installe dans le poĂšme un silence da alfa ad omega [10]. Dante use de cette expression Ă la fin de la Lettre Ă Cangrande [11]. Expliquant son oeuvre, au terme dâune rĂ©capitulation de son propre voyage, de son ascension de ciel en ciel et donc du principe jusquâĂ la fin, Dante entend ainsi marquer fortement le caractĂšre totalisant de son voyage. Ce caractĂšre sâoppose, Ă©videmment, Ă lâerrance qui caractĂ©rise les voyages dâUlysse et interdit tout autant le retour que lâarrivĂ©e Ă bon port. La rĂ©fĂ©rence Ă lâalpha et Ă lâomĂ©ga introduit une rĂšgle de clĂŽture si lâon est parti du principe et parvenu Ă la fin, tous les champs de recherche ont Ă©tĂ© Ă©puisĂ©s et il nây a plus rien Ă chercher. Toute dĂ©marche dâexploration serait-elle vide de sens ? C âest peut-ĂȘtre le cas, en effet, dans le cosmos parfaitement clos de Dante. De la curiositĂ© Ă la dĂ©mesure Si câest comme conseiller perfide quâil se trouve en Enfer, Ulysse ne saurait pour autant ĂȘtre enfermĂ© dans sa seule habiletĂ© Ă tromper, il est non moins curieux, et câest ce trait que retient Dante, au chant XXVI. Ă cet Ă©gard, Ulysse se distingue grandement dâune figure que lâon serait tentĂ© de rapprocher de lui, celle de ]ason [12] Dans leur quĂȘte de la Toison dâor, les Argonautes sont intĂ©ressĂ©s, alors quâUlysse, mĂ» par sa seule curiositĂ©, apparaĂźt comme un personnage remarquable, puisque son mobile nâest ni lâargent, ni la gloire, ni la piĂ©tĂ© et quâil ne partage pas les alibis usuels des voyageurs lointains. Et sur ce point, Dante sait Ă©clairer et approfondir les choses. Il a vu en Ulysse un dĂ©sir de savoir assez singulier, en fait dâune puissance exceptionnelle qui en redĂ©finir la nature. Chez HomĂšre, la curiositĂ© dâUlysse est une caractĂ©ristique parmi dâautres ; chez Dante, cette caractĂ©ristique envahit lâensemble du personnage [13] et modifie le style de toutes les autres. Il en rĂ©sulte que ce que Dante met en scĂšne, et peut-ĂȘtre condamne, dans le vol fou dâ Ulysse, câest lâorgueil ou la dĂ©mesure, mais ce nâest pas on ne sait quelle modernitĂ©. Autre chose est la reprĂ©sentation de la dĂ©mesure comme une annonce de la modernitĂ©, ce dont on aurait tort de tirer que Dante lâaurait vue venir et la condamnerait. Tout au plus voyait-il peut-ĂȘtre le Moyen Ăge sâeffondrer, comme il nous montre Ulysse â qui traduit quand mĂȘme plutĂŽt lâAntiquitĂ© â ĂȘtre englouti et sâenfoncer. LâáœÏÏÎč, qui fait sans doute pour une grande part, la spĂ©cificitĂ© de lâUlysse de Dante, nâa pas vraiment de rapport avec la modernitĂ©. La notion, comme on le sait, a Ă©tĂ© Ă©laborĂ©e dans la GrĂšce antique et a vraisemblablement Ă©tĂ© importĂ©e par HĂ©rodote depuis le champ de la tragĂ©die grecque, originaire-ment elle vise les despotes qui abusent de leur pouvoir et ne respectent pas les lois communes, elle vise les atteintes Ă lâordre voulu par les dieux [14]. Cette incrimination convient donc parfaitement Ă lâUlysse de Dante qui, littĂ©ralement, va trop loin. Comme convient aussi alors la fin appelĂ©e par cet excĂšs, si bien quâUlysse est, en ce sens, responsable, ou cause, de ce qui lui arrive, et lâon approfondit davantage le portrait de lâUlysse de Dante, sans sâarrĂȘter Ă la description, assez convenue, donnĂ©e en termes dâáœÏÏÎč, on observera que lâinterdit quâil enfreint, en fait, nâest pas exactement celui que posent les colonnes dâHercule. Si naturellement le passage de Gibraltar peut encore susciter quelque apprĂ©hension, la mythologie des colonnes dâHercule ne vaut plus guĂšre, du moins sĂ©rieusement, en cette fin de Moyen Ăge. Mais ce qui est dit par Dante, au moins dans lâintensitĂ© de son expression poĂ©tique, câest quâUlysse est un hĂ©ros qui est Ă la recherche de lâextrĂȘme, qui trouve au fond la signification de ses actes dans la confrontation Ă lâĂ©chec, comme atteinte ou Ă©preuve des limites. Il symbolise bien ce que peut ou ne peut pas lâhomme, sans la grĂące faire son salut dans lâhistoire, et sans le contexte, proprement mĂ©taphysique ou thĂ©ologique, atteste bien quâil sâagit du salut de lâĂąme et non dâune improbable modernitĂ©. Comme on lâa dĂ©jĂ observĂ©, en effet, lâĂ©pisode du dernier voyage dâUlysse sâaccomplit dans un univers de sens assez bien dĂ©fini. Dante ne cesse dây rĂ©activer le motif prophĂ©tique du peuple juif dans le dĂ©sert et de la sortie dâĂgypte, constante et puissante figuration historique de la dĂ©livrance et du salut. Se dessine ainsi nettement une insistante homologie entre 1â OdyssĂ©e et lâExode, Ithaque et la Terre promise, le sens gĂ©ographique du retour et le sens spirituel de lâexilâ. Tout cela prĂ©pare pour Ulysse un destin singulier. Car lâUlysse de Dante pose manifestement un problĂšme dans la mesure oĂč dâun cĂŽtĂ© ce quâil entreprend est proprement inouĂŻ, mais dans la mesure aussi oĂč, de lâautre cĂŽtĂ©, cette entreprise inouĂŻe sâachĂšve en un Ă©chec sans reste. Dans le contexte donnĂ© dâune histoire du salut, on ne peut quâen conclure Ă la fois Ă la perte des antiques certitudes concernant la fiabilitĂ© du cosmos, mais en mĂȘme temps, Ă lâimpossibilitĂ© de valider toute autre solution de salut tant quâon reste dans cette problĂ©matique oĂč aucune grĂące nâest promise. De lĂ , lâĂ©chec total â on serait tentĂ© de dire dĂ©finitif â de la tentative audacieuse dâUlysse, mais aussi son caractĂšre infiniment, et dĂ©finitivement fascinant. Mais il y a lĂ un peu plus que rien. En effet, si la voie dâun salut transgressif est â dĂ©finitivement ? â barrĂ©e par lâĂ©chec dâUlysse, le salut promis dans la rĂ©gion des anciennes certitudes mĂ©diĂ©vales est lui aussi trĂšs rĂ©ellement frappĂ© de nullitĂ© par lâentreprise mĂȘme dâUlysse, puisquâil nây a pas dâautre choix possible que lâentreprise de Dante, qui met son espoir en un salut transcendant, mais qui nâest peut-ĂȘtre pas aussi assurĂ©e quâon le croit parfois. Que le drame, vĂ©cu jusquâĂ la mort, par lâUlysse de Dante, se nourrisse ou sâexaspĂšre de cette incertitude quant Ă la consistance radicale du monde, cela pourrait bien comporter une leçon assez large, peut-ĂȘtre moment est sans doute venu dâexaminer la question de lâattitude de Dante Ă lâĂ©gard de la figure dâUlysse, cette figure qui, Ă bien des Ă©gards, lui tourne le dos et pas seulement en raison de sa condamnation aux peines infernales. On a souvent soulignĂ© combien, en raison de ce que ces pages de la Divine ComĂ©die ont dâindĂ©niablement sublime, il est difficile de ne pas admettre une indĂ©finissable proximitĂ©, une incontestable sympathie de Dante Ă lâĂ©gard de ce damnĂ©. On a manifestement affaire Ă un cas du mĂȘme genre que lâĂ©pisode de Francesca et Paolo [15] voir lâĂ©treinte de leurs corps frissonnants de dĂ©sir au cĆur de leur supplice entraĂźne une irrĂ©sistible compassion, et peut-ĂȘtre davantage. Et si Dante, au fond, secrĂštement, donnait raison Ă son Ulysse ? Quoi quâil en soit lâUlysse de Dante fait problĂšme dans son contexte historique prĂ©cisĂ©ment parce quâil le met en question. Et lâon est bien obligĂ© de sâinterdire toute conclusion Ă son sujet, car il nâengage en fait Ă rien, et il nây a rien Ă en dire. Le poĂšme de Dante est la mise en question simple du voyage dâUlysse, mais aussi, inĂ©vitablement, du propre voyage de Dante. On peut soutenir en effet que le salut chrĂ©tien est pessimiste quant Ă ce monde, et cela le rapproche, ou ne lâĂ©loigne pas tant de lâĂ©chec du voyage dâUlysse la voie chrĂ©tienne du salut, tentĂ©e par Dante, se dĂ©ploie dans un autre monde, aprĂšs jugement. Il nây a rien Ă en attendre ici-bas, et Dante connaĂźt parfaitement le monde terrestre et ses limites. p. 248-256 * La critique de Yannick Haenel Transfuge 99-100, juin-juillet 2016. Zoom cliquez lâimage. * Lâanalyse de Karim Oukaci La plus extraordinaire des choses littĂ©raires », disait Borges de la Divine ComĂ©die. Jean-Louis Poirier vient de consacrer Ă lâun des plus sublimes passages de lâEnfer, qui forme le premier cantique de la Commedia, et le plus pittoresque, un commentaire Ă bien des Ă©gards trĂšs extraordinaire. Au chant XXVI de lâEnfer, Ulysse surgit dâune fosse obscure sous la forme dâune langue de feu pour donner le rĂ©cit de son dernier voyage au-delĂ des limites du monde connu. Ces vers fascinants ont Ă©tĂ© lâobjet dâune glose considĂ©rable depuis plus dâun siĂšcle quarante pages dâindications bibliographiques si lâon ouvre par exemple Seriacopi 1994. Mais câest lâinterprĂ©tation quâen fit Hans Blumenberg qui intĂ©resse lâauteur un Ă©vĂ©nement thĂ©orique Ă part entiĂšre », p. 4, et qui fait toute la nouveautĂ© de son ouvrage dans les Ă©tudes dantesques. Lâintroduction p. 1-10 propose de voir dans lâaventure dâUlysse la tentative sans doute la plus entiĂšre de mise en question radicale du monde » p. 1, et interroge cette signification gĂ©nĂ©rale â pour Dante en premier lieu, pour nous ensuite, qui sommes les hĂ©ritiers de la modernitĂ© que le poĂšte florentin a prĂ©cĂ©dĂ©e nây aurait-il pas dans ce dĂ©sir de connaĂźtre lâinconnu, auquel Ulysse sacrifie tout jusquâĂ en perdre la raison il folle volo et la vie il mar sovra noi, quelque chose comme lâindice de la configuration dâun monde qui sâanĂ©antit, en la nĂ©cessitĂ© duquel lâhomme ne parvient plus Ă se fier, contre lequel il lui faut dĂ©sormais sâaffirmer, ne serait-ce quâĂ titre de contingence ? Ce questionnement sur lâUlysse de Dante, orientĂ© par une problĂ©matique Ă la fois cosmologique et mĂ©taphysique, va conduire lâauteur Ă investir tout aussi bien, puisquâil sâagit de poĂ©tique, de mĂ©moire et de transmission, lâanalyse des mĂ©taphores lâocĂ©an, la navigation, le naufrage, etc. que lâhistoire des concepts le dĂ©sir de savoir, la curiositĂ©, la limite, etc.. Gustave DorĂ©, Inferno XXVI. Au prĂ©alable, JL Poirier se fait traducteur et commentateur du Canto di Ulisse p. 13-55. De sa traduction des terzine en prose p. 14-23, lâauteur avertit quâelle est volontairement Ă©lĂ©mentaire, exactement sans qualitĂ© » p. 11. On reconnaĂźtra, quoi quâil en dise, quâelle est limpide, explicative, Ă©clairante au vers 57, lâira est attribuĂ©e Ă Dieu de maniĂšre trĂšs explicite comme ils provoquĂšrent ensemble la colĂšre divine » ; au vers 72, la tua lingua est rendue par ton discours » ; la notion de vertu valore au vers 99 rimant avec ardore, virtute au vers 120 est comprise comme valeur et excellence ; lâalto passo du vers 132 le pas suprĂȘme » pour Longnon, la haute aventure » pour PĂ©zard devient ici la grande traversĂ©e ». â Quant au commentaire p. 25-55, câest Ă notre connaissance le premier Ă ĂȘtre publiĂ© en français qui soit si prĂ©cis et si dĂ©veloppĂ©, attentif Ă la question de lâintertextualitĂ© comme lâessai de Giglio 1997, soucieux du dĂ©tail et de la structure comme lâĂ©tude de Sasso 2011. On se souvient peut-ĂȘtre quâAndrĂ© PĂ©zard, au dĂ©tour dâune note, avait promis Ă ses lecteurs une Damnation dâUlysse, qui ne parut jamais quoique des fragments de ce quâelle eĂ»t pu ĂȘtre soient prĂ©sents dans lâUlisse que Pagliaro dĂ©dia au maĂźtre français. Or, si la Damnation de PĂ©zard ne fut pas Ă©crite, câest semble-t-il quâelle ne pouvait pas lâĂȘtre, car JL Poirier, tout en comblant en quelque sorte ce manque, convainc assez facilement que, dans le cas dâUlysse, damnation et justification sâentremĂȘlent sur un mode prodigieusement complexe Tout le texte de Dante, toutes ses rĂ©fĂ©rences, tout son ancrage historique montrent que ce [dĂ©sir de savoir pour lequel il meurt] est naturel, inscrit profondĂ©ment dans la nature de lâhomme » p. 55. Les moments successifs de lâInferno XXVI, depuis lâadresse Ă Florence jusquâĂ lâorazion picciola dâUlysse et Ă sa fabuleuse narration du drame final, sont donc examinĂ©s dans leur littĂ©ralitĂ©, ainsi que dans leurs sources bibliques et classiques, lâimportance probable de CicĂ©ron, De Fin. V, 16-18 Ă©tant signalĂ©e. La premiĂšre partie p. 57-226 prĂ©sente la suggestion infiniment sĂ©duisante quâau-delĂ de la passion de lâunitĂ© qui anime la doctrine de la Divine ComĂ©die, il y a aussi en elle une intuition de contradictions ou, si lâon ose dire, une conscience malheureuse, dĂ©chirĂ©e par certaines nĂ©gativitĂ©s dont lâĂ©pisode dâUlysse serait lâun des signes les plus puissants. On ne sâĂ©tonnera pas que le chapitre premier p. 59-82 rappelle lâambivalence de lâĂ©criture de Dante, tant lâallĂ©gorisation lui est inhĂ©rente, et expose la rĂšgle que lui-mĂȘme trĂšs tĂŽt formula, inquiet que la profondeur de sa pensĂ©e ne fĂ»t pas pĂ©nĂ©trĂ©e, et quâil prit soin de thĂ©oriser dans le Convivio la lettre de ses sonnets, chansons, poĂšmes requiert une lecture indispensablement allĂ©gorique â exigence que lâon retrouve dans une expression rudimentaire au § 7 de lâĂpĂźtre Ă Cangrande istius operis non est simplex sensus, immo polysemum ». Lâauteur insiste sur lâhĂ©ritage que constitue le prĂ©cĂ©dent de lâexĂ©gĂšse propre aux traditions des enseignements nĂ©oplatonicien et chrĂ©tien, Ă©trangement parallĂšles sur le point de traiter la figure dâUlysse, quâelle apparaisse chez HomĂšre ou Platon, comme le lieu dâune allĂ©gorĂšse systĂ©matique â ce quâattestent les Ă©crits de ClĂ©ment dâAlexandrie, de Plotin, de Porphyre, dont lâexercice magnifique sur LâAntre des nymphes est Ă©tudiĂ© en dĂ©tail p. 78-82. Câest Jean PĂ©pin dĂ©jĂ qui, dans son article sur lâUlysse platonicien et chrĂ©tien », faisait observer, tout en soupçonnant une origine gnostique Ă cette douteuse proximitĂ©, quâUlysse fut le principal des mythes grecs pour la rĂ©ception desquels les textes patristiques purent bĂ©nĂ©ficier de maniĂšre plus ou moins directe de lâexĂ©gĂšse mĂ©dio-platonicienne. Pour procĂ©der Ă la dĂ©licate allĂ©gorĂšse de lâUlysse de Dante, les chapitres II et III font lâhypothĂšse que cette figure exceptionnelle que le poĂšte rĂ©inventa par seul droit de gĂ©nie correspond en fait Ă une rupture dans la dĂ©termination mĂ©diĂ©vale de lâordre cosmique et gĂ©ographique dâune part p. 83-127, de lâordonnance de la question du salut dâautre part p. 129-226 â dĂ©termination que toute la Commedia sâattache, pourtant, Ă confirmer chant aprĂšs chant. Ainsi il conviendrait de discerner que la reprise par Dante de lâastronomie ptolĂ©maĂŻque se complique dâune dramatisation de quelques principes thĂ©oriques prĂ©cession des Ă©quinoxes, thĂ©orie de la trĂ©pidation qui a pour effet de faire entrer lâirrationnel dans ce que le monde sensible a de plus Ă©levĂ© p. 83-103. Pareillement, la gĂ©ographie du monde habitĂ© se trouve confrontĂ©e Ă lâirrationalitĂ© des antipodes, de lâocĂ©an austral, de lâantigĂ©ographie infernale et de ce qui en est la cause mĂ©taphysiquement effrayante en termes de crĂ©ation, la chute de celui que le chant XXXIV dĂ©crit con paura p. 103-127. Le chapitre III, relatif Ă lâĂ©conomie du salut, reprend dans des pages brillantes les analyses patiemment minutieuses de Blumenberg sur les concepts de modernitĂ© et de curiositĂ© dont La LĂ©gitimitĂ© des Temps modernes faisait entre autres choses lâhistoire. Le voyage dâUlysse, loin dâĂȘtre lâemblĂšme sĂ©cularisĂ© dâun itinerarium mentis ad Deum, serait donc un contrecoup du sentiment diffus que sâĂ©tait Ă©puisĂ©e lâidĂ©e mĂ©taphysique de cosmos, câest-Ă -dire dâun ĂȘtre du monde adĂ©quat Ă lâessence divine â et cela avant mĂȘme que ne commençùt la modernitĂ© ce qui caractĂ©risera cette modernitĂ© ..., rĂ©sume lâauteur, câest la disjonction de la mĂ©taphysique et de la thĂ©ologie, et donc la possibilitĂ© dâun monde qui ne soit pas un cosmos, dâun monde qui ne soit pas la rĂ©alisation dâun modĂšle ou, si lâon peut dire, dâun monde qui ne ressemble Ă rien. On comprend que, jetĂ© dans un tel monde, lâUlysse de Dante nâait eu dâautre pensĂ©e que dâen sortir ... » p. 141. Lâune des consĂ©quences de cette perte de confiance dans le monde » p. 145 serait une modification de lâattitude thĂ©orique Ă son Ă©gard p. 146-226 lâhistoire conceptuelle du dĂ©sir de savoir, de ses altĂ©rations en concupiscence et en curiositĂ© est alors retracĂ©e Ă lâaide de renvois Ă Platon, Aristote, CicĂ©ron, Augustin, au PĂ©trarque du mont Ventoux, au LĂ©onard des cavernes de lâEtna, etc. p. 146-190, jusquâaux positions pleinement modernes de Nicolas de Cues et de Giordano Bruno p. 190-221, le Cusain et le Nolain de Blumenberg. Lâauteur fait remarquer ce que cette attitude moderne a en dĂ©finitive de tragique La quĂȘte moderne du savoir mime une quĂȘte de lâabsolu, elle porte une ouverture Ă la transcendance, mais elle reste prisonniĂšre du monde ici-bas » p. 191 - tragique que lâUlysse dantesque annonce, non sans contredire Dante lui-mĂȘme jusquâau dernier degrĂ©. La seconde partie 227-349 complĂšte lâĂ©tude de la fable que contient lâInf. XXVI par celle de la signification quâelle a pu prendre dans diffĂ©rentes rĂ©ceptions modernes et contemporaines. Le chapitre IV p. 229-302 part du travail de Stanford sur la complexitĂ© et la plasticitĂ© de la matiĂšre du thĂšme ulyssĂ©en pour y rechercher un invariant possible Ă travers lâhistoire des variations poĂ©tiques depuis le prototype homĂ©rique. Cet invariant serait moins lâidĂ©e de retour que celle dâerrance, qui associe la ÎŒáżÎč aux ΜαÏ
ÎčÎșᜱ de façon plus fondamentale. Cela expliquerait quâĂ la maniĂšre de lâOdyssĂ©e dont la grandeur, disait Genette, est dâĂȘtre devenue un point de mire de lâĂ©criture hypertextuelle, lâUlysse de Dante soit devenu Ă son tour lâhypotexte privilĂ©giĂ© de poĂštes et de romanciers aussi gĂ©niaux et dissemblables que le Tasse, lâArioste, Leopardi, Tennyson, Arturo Graf, Pascoli et Melville. Leurs appropriations respectives de lâInf. XXVI sont lâune aprĂšs lâautre considĂ©rĂ©es. Le dernier chapitre p. 303-349 reprend thĂ©matiquement les mĂ©taphores de lâocĂ©an, de la navigation et du naufrage avec pour rĂ©fĂ©rences Platon, Primo Levi, le Blumenberg de Naufrage avec spectateur, et sâintĂ©resse Ă la fonction de transmission quâun mythe comme celui dâUlysse a pour fin de remplir â Ă©tant donnĂ©, comme dirait Blumenberg encore, la diffĂ©rence dâextension entre mĂ©taphorique et mĂ©taphysique. Sous ce rapport, lâauteur note quâil nây a pas grand sens Ă faire de Dante le prophĂšte de la modernitĂ© p. 335, puisque, par lâĂ©quipĂ©e dâUlysse, le poĂšte sâĂ©tablit en passeur dâune expĂ©rience per dar lui esperĂŻenza piena, dira Inf. XXVIII, 48, celle de la mise en question dâun monde fini », et que cette expĂ©rience sâordonne Ă un besoin de transmission, qui ouvre sans doute Ă une espĂ©rance » p. 348. De cette espĂ©rance, lâĂ©pilogue p. 351-370 et la conclusion p. 371-373 ne font guĂšre Ă©tat ils insistent sur une nouvelle modalitĂ© existentielle une chose post-moderne », p. 362 que lâauteur appelle la dĂ©chĂ©ance la dĂ©chĂ©ance nâest ni salut ni damnation. Entre les deux, elle est plutĂŽt lâexpĂ©rience effrayante de lâimpossible nĂ©ant de soi-mĂȘme ... », p. 361. Ă titre de tĂ©moin, dâUlysse postmoderne, le hĂ©ros dâUnder the Volcano, le roman de Malcolm Lowry, montre dâaprĂšs lâauteur que ce nâest pas lâabsence de salut qui rend la vie impossible, mais la vie mĂȘme qui rend tout salut impossible » p. 369, faisant donc prĂ©cĂ©der devant toute autre question celle, anthropologique, du besoin de salut, dont le contenu est redĂ©fini comme besoin de reconnaissance la dĂ©chĂ©ance fait donc apparaĂźtre, plus encore que le dĂ©sir dâĂȘtre sauvĂ©, le besoin dâĂȘtre jugĂ©, le besoin de faire reconnaĂźtre ce que nous sommes, le besoin de justification » p. 372. Quâon nous permette de dire avec briĂšvetĂ© que dans ce livre, lâun des plus beaux et des plus denses, trĂšs certainement, de tous ceux consacrĂ©s Ă lâĂ©tude de la pensĂ©e dantesque, on ne peut quâadmirer sans rĂ©serve lâimmensitĂ© de lâĂ©rudition, la profondeur de lâenquĂȘte, la finesse des analyses, le charme dâun style plein dâironie â toutes qualitĂ©s qui assurent un plaisir auquel il est facile et mĂȘme lĂ©gitime de se laisser prendre une lĂ©gitimitĂ© du plaisir dont convient Dante en toutes lettres au chant XXVII du Purgatoire lo tuo piacere omai prendi per duce. Difficile aussi de ne pas se laisser convaincre par les conclusions de JL Poirier sur la richesse et les contradictions de lâUlysse italien, sur lâactualitĂ© de la mĂ©taphore du naufrage quâelle tire sa force de la poĂ©sie dantesque ou mallarmĂ©enne, sur le dĂ©sespoir dâune postmodernitĂ© prĂšs dâen revenir Ă la sagesse que SilĂšne selon Aristote finit par avouer au roi qui lâavait capturĂ©. â Moins Ă©videntes bien que la nature de lâouvrage interdĂźt que lâauteur les expliquĂąt avec la moindre ampleur nous semblent certaines propositions reprises de Blumenberg sur la fiabilitĂ© supposĂ©e du monde antique, sur la disparition corrĂ©lative de ce sentiment, si câen est un, Ă la modernitĂ© il nâest pas aisĂ© dâĂȘtre dâaccord, sans plus de preuves textuelles, avec lâallĂ©gation que cette angoisse ait Ă©tĂ© inconnue des Anciens et que lâhistoire de ce sentiment commence seulement Ă la fin du Moyen Ăge, mĂȘme si lâon prend la prĂ©caution dâajouter â prudence qui change fort peu de choses Ă lâaffaire â quâil serait plus que tout question ici de son articulation avec une conception de lâacte qui se limiterait Ă la perspective de lâimmanence. Pour ce qui est de lâĂ©dition, le lecteur aura la satisfaction de la trouver formellement impeccable, en vĂ©ritĂ© au-dessus de tout reproche une seule erreur de typographie en prĂšs de 400 pages, et encore sâagit-il dâun accent, p. 201 ; un nom sâinsĂšre mal Ă propos entre deux mots, p. 228. Sans doute aussi devra-t-il prĂȘter son attention Ă la n. 10, p. 27, Ă la n. 21, p. 31, Ă la n. 40, p. 72 oĂč il faut lire § 29 » au lieu de § 9 », Ă la p. 225 non dans les marges de lâEnfer » au lieu de dans les marges de lâEnfer », Ă la p. 334 son disciple ĂlisĂ©e » au lieu de son fils ». Parlant du fond de cet Enfer, lâUlysse de Dante nâest donc pas la simple version dramatique du personnage parodique mieux connu du public français, Calogrenant le chevalier ridicule â qui lui aussi cherch[ait] ce quâil ne [pouvait] trouver », qui lui aussi rĂ©clamait ou lâaventure ou les merveilles », qui lui-mĂȘme manqua de mourir noyĂ©, alors quâil Ă©tait non pas en mer mais Ă cheval, dans la tempĂȘte par laquelle ChrĂ©tien de Troyes sâamuse Ă le punir. Contrairement Ă lui, si lâUlysse de Dante est sublimement grand, câest que, substituant la question de lâhĂ©roĂŻsme Ă celle du salut, il soumet la vie Ă une discipline plus quâĂ une justification â dâoĂč vient la forme dĂ©sintĂ©ressĂ©e du dĂ©sir, du gran disio qui est Ă©galement grand mĂ©pris. Ne plus ultra montre le tragique de cette grandeur. Qui ne tirerait profit Ă suivre son auteur dans lâexamen de ce tragique quâil mĂšne avec tant dâintelligence et de culture ? Karim Oukaci, Lâoeil de Minerve. * LâUlysse de Dante France Culture, Les Nouveaux chemins de la connaissance, Avec AdĂšle Van Reth et Didier Ottaviani, MaĂźtre de confĂ©rences Ă lâĂcole Normale SupĂ©rieure de Lyon, auteur de La philosophie de la lumiĂšre chez Dante. Du Convivio Ă la Divine comĂ©die, HonorĂ© Champion, Paris, 2004. LâĂ©mission commence par la lecture des vers 43 Ă 75 du Chant V de lâEnfer, dans la traduction de Jacqueline Risset Flammarion 1985, p. 241-243. RĂ©fĂ©rences musicales Henrik Bjorrk, VoidumAnonyme, Ciaccona di paradiso e dell infernoLightwave, Glissement dâĂmeAC/DC, Highway to Hell Lectures Dante, La Divine ComĂ©die , LâEnfer , Chant XXVI, vers 91-120BorgĂšs, Franz Liszt, AprĂšs une lecture du Dante Fantasia quasi sonataSaint Augustin Sergio Balestracci, Passo et mezzo Extrait Adaptation France Culture de La divine comĂ©die avec Alain Cuny et Yves Furet 6 juin 1958. * A propos de lâUlysse de Dante Le lecteur se souvient-il de ce passage du Coeur Absolu 1987 ? â Je casse trois jugements de la ComĂ©die, Mex. Le premier, bien sĂ»r Ăpicure. Le deuxiĂšme consiste Ă sâĂȘtre dĂ©barrassĂ© trop facilement dâHomĂšre au profit de Virgile, cette plate contrefaçon latine. Je prends donc le parti AchĂ©en contre le parti Troyen de la fondation de Rome. Vous vous rappelez quâUlysse est dĂ©crit par Dante comme sâenvolant de chez CircĂ© jusquâĂ un naufrage en pleine mer en vue du Paradis terrestre⊠Du coup, tout le retour Ă Ithaque est Ă©liminĂ©, la question pĂšre-fils, la question PĂ©nĂ©lope, le massacre lĂ©gitime des prĂ©tendants, le rĂŽle dĂ©terminant dâAthĂ©na. Que Dante ait eu des reproches sanglants Ă faire Ă Gemma, sa femme, bien, mais lĂ , quand mĂȘme, il pousse le bouchon trop loin. Il faut attendre le XXe siĂšcle pour assister Ă la rĂ©surrection dâHomĂšre », selon la belle expression de BĂ©rard, un charmant Français, soit dit en passant. Avant, il est pris en otage, mythologisĂ©, flouĂ©, dispersĂ©, divisĂ©, anonymisĂ©, surtout par la philologie allemande⊠Vous me suivez ?â Pfuitt ! fait la boule.â Donc, le grec. On sort Ăpicure, Ulysse et HomĂšre de lâEnfer, on les met au Paradis⊠Philippe Sollers, Le Coeur Absolu, 1987, Folio 2013, p. 125. Mais câest une autre histoire, un autre voyage, une autre expĂ©rience intĂ©rieure... dont Sollers pourrait parler le 5 octobre 2016 lors dâune confĂ©rence de la SociĂ©tĂ© Dantesque de France voir ici. LIRE Dante au paradisĂCOUTER, VOIR Monteverdi, Il ritorno dâUlisse in patria * Le pĂ©chĂ© sublime de Francesca et Paolo Chant V de la Divine ComĂ©die DeuxiĂšme confĂ©rence de la SociĂ©tĂ© Dantesque de France, avec Jean-Louis Poirier, ancien Professeur de KhĂągne, 15 juin 2016, Salle des Actes, Sorbonne. Introduction du prof. Vincent Carraud et du prof. Bruno Pinchard. * Rodin, Paolo et Francesca. c. 1887-89 Bronze. x x cm. Zoom cliquez lâimage. LâEnfer. Chant V Je descendis ainsi du premier cercledans le second, qui enclĂŽt moins dâespace,mais la douleur plus poignante, et plus de [16] sây tient, horriblement, et grogne il examine les fautes, Ă lâarrivĂ©e,juge et bannit suivant les que quand lâĂąme mal nĂ©evient devant lui, elle se confesse toute et ce connaisseur de pĂ©chĂ©svoit quel lieu lui convient dans lâenfer ;de sa queue il sâentoure autant de foisquâil veut que de degrĂ©s lâĂąme se pressent en foule devant lui,et vont lâune aprĂšs lâautre au jugement elles parlent, entendent et tombent."O toi qui viens Ă lâhospice de douleur",me dit Minos quand il me vit,en oubliant de remplir son office,"vois comme tu entres, et Ă qui tu te fies ;que lâampleur de lâentrĂ©e ne tâabuse !"Alors mon guide "Pourquoi cries-tu ?NâempĂȘche pas son voyage fatal on veut ainsi lĂ oĂč on peutce que lâon veut, et ne demande pas davantage."A prĂ©sent commencent les notes douloureusesĂ se faire entendre ; Ă prĂ©sent je suis venulĂ oĂč les pleurs me vins en un lieu oĂč la lumiĂšre se tait,mugissant comme mer en tempĂȘte,quand elle est battue par vents tourmente infernale, qui nâa pas de repos,mĂšne les ombres avec sa rage ;et les tourne et les heurte et les elles arrivent devant la ruine,lĂ sont les cris, les pleurs, les plaintes ;lĂ elles blasphĂšment la vertu je compris quâun tel tourmentĂ©tait le sort des pĂ©cheurs charnels,qui soumettent la raison aux comme leurs ailes portent les Ă©tourneaux,dans le temps froid, en vol nombreux,ainsi ce souffle mĂšne, de çà de lĂ ,de haut en bas, les esprits mauvais ;aucun espoir ne les confortedâaucun repos, et mĂȘme de moindre comme les grues vont chantant leurs complaintes,en formant dans lâair une longue ligne,ainsi je vis venir, poussant des cris,les ombres portĂ©es par ce grand vent ;alors je dis "MaĂźtre qui sont ceux-lĂ qui sont ainsi chĂątiĂ©s par lâair noir ?""La premiĂšre de ceux dont tu voudraissavoir quelque nouvelle", me dit-il alors,"fut impĂ©ratrice de nombreux langages ;au vice de luxure elle fut si rouĂ©equâelle fit dans sa loi la licence licite,afin dâĂŽter le blĂąme oĂč elle Ă©tait est SĂ©miramis [17], dont on peut lirequâelle fut lâĂ©pouse de Ninus, et puis lui succĂ©da elle tint la terre que le Sultan suivante est celle-ci qui se tua par amour [18]en trahissant les cendres de SichĂ©e ;puis vient la luxurieuse ClĂ©opĂątre [19].Tu vois HĂ©lĂšne [20], par qui advintun si long malheur ; tu vois le grand Achille [21],qui combattit Ă la fin contre vois PĂąris, Tristan" ; ainsi il mâen montraet mâen dĂ©signa du doigt plus de millequâamour ĂŽta de notre jâeus ainsi entendu mon docteurnommer les dames de jadis et les cavaliers,pitiĂ© me prit, et je devins comme commençai "PoĂšte, volontiersje parlerais Ă ces deux-ci [22] qui vont ensemble,et qui semblent si lĂ©gers dans le vent."Et lui Ă moi "Tu les verras quand il serontplus prĂšs de nous ; alors prie-lespar lâamour qui les mĂšne, et ils viendront."DĂšs que le vent vers nous les plie,je leur dis ces mots "O Ăąmes tourmentĂ©es,venez nous parler, si nul ne le dĂ©fend."Comme colombes Ă lâappel du dĂ©sirviennent par lâair, les ailes droites et fixes,vers le doux nid, portĂ©es par le vouloir ;ainsi de la compagnie de Didonils sâĂ©loignĂšrent, venant vers nous dans lâair malin,si fort fut mon cri affectueux."O crĂ©ature gracieuse et bienveillantequi viens nous visiter par lâair sombrenous dont le sang teignit la terre,si le roi de lâunivers Ă©tait notre ami,nous le prerions pour ton bonheur,puisque tu as pitiĂ© de notre mal tout ce quâil vous plaĂźt dâentendre et de dire,nous entendrons et nous vous parlerons,tandis que le vent, comme il fait, sâ terre oĂč je suis nĂ©e se trouve au bordde ce rivage oĂč le PĂŽ vient descendrepour ĂȘtre en paix avec ses qui sâapprend vite au cĆur gentil,prit celui-ci de la belle personneque jâĂ©tais ; et la maniĂšre me touche qui force tout aimĂ© Ă aimer en retour,me prit si fort de la douceur de celui-cique, comme tu vois, il ne me laisse nous a conduits Ă une mort CaĂŻne [23] attend celui qui nous tua."Tels furent les mots que nous eĂ»mes dâ jâentendis ces Ăąmes blessĂ©es,je baissai le visage, et le gardai si basque le poĂšte me dit "Que penses-tu ?"Quand je lui rĂ©pondis, je commençai "HĂ©las,que de douces pensĂ©es, et quel dĂ©sirles ont menĂ©s ou douloureux trĂ©pas !"Puis je me retournai vers eux et je leur dispour commencer "Francesca, tes martyresme font triste et pieux Ă dis-moi ; du temps des doux soupirs,Ă quel signe et comment permit amourque vous connaissiez vos incertains dĂ©sirs ?"Et elle "Il nâest pas de plus grande douleurque de se souvenir des temps heureuxdans la misĂšre ; et ton docteur le si tu as telle envie de connaĂźtrela racine premiĂšre de notre amour,je ferai comme qui pleure et parle Ă la lisions un jour par agrĂ©mentde Lancelot [24], comment amour le prit nous Ă©tions seuls et sans aucun fois la lecture nous fit lever les yeuxet dĂ©colora nos visages ;mais un seul point fut ce qui nous nous vĂźmes le rire dĂ©sirĂ©ĂȘtre baisĂ© par tel amant,celui-ci, qui jamais plus ne sera loin de moi,me baisa la bouche tout [25] fut le livre et celui qui le fit ;ce jour-lĂ nous ne lĂ»mes pas plus avant."Pendant que lâun des deux esprits parlait ainsi,lâautre pleurait, si bien que de pitiĂ©je mâĂ©vanouis comme si je mourais ;et je tombai comme tombe un corps mort. CosĂŹ discesi del cerchio primaio giĂč nel secondo, che men loco cinghia, e tanto piĂč dolor, che punge a guaio. Stavvi MinĂČs orribilmente, e ringhia essamina le colpe ne lâintrata ; giudica e manda secondo châavvinghia. Dico che quando lâanima mal nata li vien dinanzi, tutta si confessa ; e quel conoscitor de le peccata vede qual loco dâinferno Ăš da essa ; cignesi con la coda tante volte quantunque gradi vuol che giĂč sia messa. Sempre dinanzi a lui ne stanno molte ; vanno a vicenda ciascuna al giudizio ;dicono e odono, e poi son giĂč volte. O tu che vieni al doloroso ospizio », disse MinĂČs a me quando mi vide, lasciando lâatto di cotanto offizio, guarda comâentri e di cui tu ti fide ; non tâinganni lâampiezza de lâintrare ! ». E âl duca mio a lui PerchĂ© pur gride ? Non impedir lo suo fatale andare vuolsi cosĂŹ colĂ dove si puote ciĂČ che si vuole, e piĂč non dimandare ». Or incomincian le dolenti note a farmisi sentire ; or son venuto lĂ dove molto pianto mi percuote. Io venni in loco dâogne luce muto, che mugghia come fa mar per tempesta, se da contrari venti Ăš combattuto. La bufera infernal, che mai non resta, mena li spirti con la sua rapina ; voltando e percotendo li molesta. Quando giungon davanti a la ruina, quivi le strida, il compianto, il lamento ; bestemmian quivi la virtĂč divina. Intesi châa cosĂŹ fatto tormento enno dannati i peccator carnali, che la ragion sommettono al talento. E come li stornei ne portan lâali nel freddo tempo, a schiera larga e piena, cosĂŹ quel fiato li spiriti mali ; di qua, di lĂ , di giĂč, di sĂč li mena ; nulla speranza li conforta mai, non che di posa, ma di minor pena. E come i gru van cantando lor lai, faccendo in aere di sĂ© lunga riga, cosĂŹ vidâio venir, traendo guai, ombre portate da la detta briga ; per châiâ dissi Maestro, chi son quelle genti che lâaura nera sĂŹ gastiga ? ». La prima di color di cui novelle tu vuoâ saper », mi disse quelli allotta, fu imperadrice di molte favelle. A vizio di lussuria fu sĂŹ rotta, che libito fĂ© licito in sua legge, per tĂČrre il biasmo in che era condotta. EllâĂš SemiramĂŹs, di cui si legge che succedette a Nino e fu sua sposa tenne la terra che âl Soldan corregge. Lâaltra Ăš colei che sâancise amorosa, e ruppe fede al cener di Sicheo ; poi Ăš CleopatrĂ s lussuriosa. Elena vedi, per cui tanto reo tempo si volse, e vedi âl grande Achille, che con amore al fine combatteo. Vedi ParĂŹs, Tristano » ; e piĂč di mille ombre mostrommi e nominommi a dito, châamor di nostra vita dipartille. Poscia châio ebbi il mio dottore udito nomar le donne antiche e â cavalieri, pietĂ mi giunse, e fui quasi smarrito. Iâ cominciai Poeta, volontieri parlerei a quei due che ânsieme vanno, e paion sĂŹ al vento esser leggeri ». Ed elli a me Vedrai quando saranno piĂč presso a noi ; e tu allor li priega per quello amor che i mena, ed ei verranno ». SĂŹ tosto come il vento a noi li piega, mossi la voce O anime affannate, venite a noi parlar, sâaltri nol niega ! ». Quali colombe dal disio chiamate con lâali alzate e ferme al dolce nido vegnon per lâaere dal voler portate ; cotali uscir de la schiera ovâĂš Dido, a noi venendo per lâaere maligno, sĂŹ forte fu lâaffettuoso grido. O animal grazioso e benigno che visitando vai per lâaere perso noi che tignemmo il mondo di sanguigno, se fosse amico il re de lâuniverso, noi pregheremmo lui de la tua pace, poi câhai pietĂ del nostro mal perverso. Di quel che udire e che parlar vi piace, noi udiremo e parleremo a voi, mentre che âl vento, come fa, ci tace. Siede la terra dove nata fui su la marina dove âl Po discende per aver pace coâ seguaci sui. Amor, châal cor gentil ratto sâapprende prese costui de la bella persona che mi fu tolta ; e âl modo ancor mâoffende. Amor, châa nullo amato amar perdona, mi prese del costui piacer sĂŹ forte, che, come vedi, ancor non mâabbandona. Amor condusse noi ad una morte Caina attende chi a vita ci spense ». Queste parole da lor ci fuor porte. Quandâio intesi quellâanime offense, chinaâ il viso e tanto il tenni basso, fin che âl poeta mi disse Che pense ? ». Quando rispuosi, cominciai Oh lasso, quanti dolci pensier, quanto disio menĂČ costoro al doloroso passo ! ». Poi mi rivolsi a loro e parlaâ io, e cominciai Francesca, i tuoi martĂŹri a lagrimar mi fanno tristo e pio. Ma dimmi al tempo dâi dolci sospiri, a che e come concedette Amore che conosceste i dubbiosi disiri ? ». E quella a me Nessun maggior dolore che ricordarsi del tempo felice ne la miseria ; e ciĂČ sa âl tuo dottore. Ma sâa conoscer la prima radice del nostro amor tu hai cotanto affetto, dirĂČ come colui che piange e dice. Noi leggiavamo un giorno per diletto di Lancialotto come amor lo strinse ; soli eravamo e sanza alcun sospetto. Per piĂč fiate li occhi ci sospinse quella lettura, e scolorocci il viso ; ma solo un punto fu quel che ci vinse. Quando leggemmo il disiato riso esser basciato da cotanto amante, questi, che mai da me non fia diviso, la bocca mi basciĂČ tutto tremante. Galeotto fu âl libro e chi lo scrisse quel giorno piĂč non vi leggemmo avante ». Mentre che lâuno spirto questo disse, lâaltro piangea ; sĂŹ che di pietade io venni men cosĂŹ comâio morisse. E caddi come corpo morto cade. Dante, LâEnfer, traduction Jacqueline Risset, Flammarion, 1985, p. 61-67. Rodin, Le baiser ou Paolo et Francesca. 1881-82. Groupe en terre cuite. MusĂ©e Rodin. Photo 24 septembre 2016. Zoom cliquez lâimage. [1] Cette abondance et cet enchevĂȘtrement de lĂ©gendes se rapportant Ă la mort dâUlysse, joints Ă lâabsence de toute indication claire donnĂ©e par HomĂšre, Ă©taient la source de dĂ©veloppements notables dans la tradition originale » » William Bedell Stanford, The Ulysses Theme, p. 89.[2] Ibid.[3] Rappelons que Dante connaissait les poĂšmes homĂ©riques Ă travers vraisemblablement BenoĂźt de Sainte-Maure, ou des traditions encore moins fiables.[4] On ne sâattendait guĂšre / De voir Ulysse en cette affaire » Jean DE LA FONTAINE. La tortue et les deux canards, dans Fables, X, 2. La Fontaine connaissait-il Dante ? Par lâintermĂ©diaire de Boccace, câest possible. En revanche, il avait Ă©videmment lu Lucien de Samosate. Quelques fables, en tout cas, Ă©voquent un dĂ©sir comparable Ă celui dâUlysse, et pour le condamner, conformĂ©ment Ă la problĂ©matique Ă©picurienne. Voir par exemple Les deux pigeons XII, 1, ou Le rat et lâhuĂźtre VIII, 9 ; au sujet de cette derniĂšre fable, voir plus haut, p. 175, note 121.[5] LUCIEN, Histoire vĂ©ritable, dans Romans grecs et latins, Ă©d. et trad. Pierre Grimal, Paris, Gallimard, coll. BibliothĂšque de la PlĂ©iade », 1958, p. 1346-1349.[6] Ibid., p. 1346.[7] Ainsi lit-on dans lâHistoire vĂ©ritable, op. cit., p. 1346 s. [âŠ] partant des colonnes dâHercule, le cap Ă lâouest, vers lâOcĂ©an, je mâembarquai, par un vent favorable. La cause de mon voyage et son intention Ă©taient lâactivitĂ© de mon esprit et mon dĂ©sir de choses nouvelles, ainsi que la volontĂ© de savoir oĂč sâarrĂȘtait lâOcĂ©an et quels Ă©taient les hommes qui habitaient sur lâautre rive. [âŠ] Nous nous abandonnĂąmes donc au vent [âŠ] et nous allĂąmes ainsi pendant soixante-dixâneuf jours. Le quatreâvingtiĂšme, le soleil se montra brusquement et nous vĂźmes, Ă quelque distance, une Ăźle Ă©levĂ©e et boisĂ©e, entourĂ©e dâune barre assez faible [âŠ] soudain, un tourbillon se forma, fit tournoyer le navire, le souleva Ă une hauteur dâenviron trois cents stades et le maintint en lâair, sans le laisser retomber sur la mer [âŠ] » Cf. Enfer, XXV I, 97-142. Nous avons dĂ©jĂ Ă©voquĂ© ce passage, plus haut, p. 48, note 71, Ă propos du vol fou » dâUlysse.[8] Avec Tennyson, notamment, et quelques autres. En particulier, lâimage, devenue si commune, dâun Ulysse romantique, capable de parler avec force Ă une sensibilitĂ© moderne, est vraisemblablement due Ă Francesco De Sanctis Lezioni e saggi su Dante, corsi torinesi, zurighesi e saggi critici, Turin, Giulio Einaudi editore, 1967 et Ă Benedetto Croce La poesia di Dante, chap. VI ModernitĂ© de Dante », op. cit., p. 168 s.. Une telle lecture, ouverte et libĂ©rĂ©e, a cependant un prix Ă payer qui est la perte de la dimension allĂ©gorique du poĂšme. Pour cette raison, Charles S. Singleton Journey to Beatrice, op. cit., p. v sâen prend Ă Benedetto Croce. Sur la rĂ©cupĂ©ration » de lâUlysse de Dante par un certain nombre de philosophes rĂ©cents Ernst Bloch, Adorno, Horkheimer, Levinas, voir lâexposĂ© trĂšs complet de Ruedi IMBACH, Dante, la philosophie et les laĂŻcs, chap. VIII Ulysse, figure de philosophe », op. cit., p. 215 s.[9] Enfer, XXVI, 142 jusquâĂ ce que lâocĂ©an fut par-dessus nous refermĂ© ».[10] Tel est le titre dâun entretien de Primo Levi avec Walter Mauro, recueilli Ă lâoccasion de la parution de Se non ora quando ? et paru dans Il Mattino du 22 mai 1982 citĂ© dans Primo LEVI, Ćuvres, Paris, Robert Laffont, 2005, p. 1000. Primo Levi y parle du thĂšme du voyage Le voyage est quelque chose de plus câest le dĂ©part et lâarrivĂ©e, lâalpha et lâomega de la vie, lâimprĂ©vu et lâĂ©trange qui donnent un sens Ă la vie, lâoccasion de faire des rencontres, de se âmesurerâ [...]. » Le voyage, qui fait le thĂšme de Maintenant ou jamais, mais qui supporte Ă©galement tout le rĂ©cit, toute la dramatisation de La TrĂȘve, dans la mesure oĂč il est plus quâessentiellement, dans ces deux exemples, voyage de retour, prend Ă©videmment un caractĂšre odyssĂ©en. Il est par suite naturel que sây attache⊠un certain nombre de rĂ©flexions sur la mĂ©moire, lâĂ©criture et la transmission. Voir plus bas, ch. V, 3.[11] Lettre XIII, Ă Cangrande della Scala. par. 33.[12] Cf. Enfer, XVIII, 82s.[13] Nâoublions pas que, dans lâautre monde, dont la loi est la justice divine, chacune des Ăąmes est reprĂ©sentĂ©e telle quâen elle-mĂȘme lâĂ©ternitĂ© lâexplique.[14] Cf. François HARTOG, MĂ©moire dâUlysse, p. 94.[15] Enfer, V, 73s.[16] Minos dans la mythologie classique, roi de CrĂšte cĂ©lĂšbre pour sa sĂ©vĂ©ritĂ© et son sens de la justice. HomĂšre le place dans lâHadĂšs comme juge des Ames ; Dantes le reprend Ă travers Virgile, et en fait un dĂ©mon infernal.[17] SĂ©miramis reine mythique de ChaldĂ©e et dâAssyrie, aux XIVe siĂšcle avant JĂ©sus-Christ ; cĂ©lĂšbre par sa beautĂ© et ses excĂšs sexuels, elle aurait selon Orose promulguĂ© une loi autorisant lâinceste.[18] Celle-ci qui se tua par amour / en trahissant les cendres de SichĂ©e Didon, reine de Carthage, dont Virgile raconte quâelle se tua lorsquâelle fut abandonnĂ©e par EnĂ©e, trahissant par cet amour la promesse de fidĂ©litĂ© Ă son mari dĂ©funt, SichĂ©e.[19] ClĂ©opĂątre la reine dâEgypte, maĂźtresse de CĂ©sar puis dâAntoine, exemple traditionnel de luxure.[20] HĂ©lĂšne cause de la guerre de Troie.[21] Achille dâaprĂšs les lĂ©gendes mĂ©diĂ©vales sur la guerre de Troie, Ă cause de son amour pour PolyxĂšne, il fut attirĂ© dans un piĂšge et tuĂ© par traĂźtrise.[22] ces deux-ci fait divers devenu lĂ©gende. Francesca da Rimini, fille de Guido da Polenta, Ă©pouse Giovanni Malatesta en 1275 ; sâĂ©prend de son beau-frĂšre Paolo da Malatesta ; Giovanni les surprend et les tue.[23] la CaĂŻne câest la premiĂšre des quatre rĂ©gions du dernier cercle de lâEnfer, le Cocyte. Elle est assignĂ©e aux damnĂ©s traĂźtres Ă leurs parents.[24] Lancelot diffĂ©rentes version des romans de la Table Ronde racontent ses amours avec GeniĂšvre, femme du roi Arthur.[25] Galehaut sĂ©nĂ©chal de la reine, tĂ©moin dâun pacte dâamour. Dans les textes connus, il pousse GeniĂšvre Ă embrasser Lancelot. Selon la version inconnue que suit Dante ou suivant sa propre version câest Lancelot qui embrasse GeniĂšvre.
Lepouvoir des fables et des apologues. Mots clés associés. Pluie - La fin de l'automne - Les mûres - Le cageot - La bougie - La cigarette - L'orange - L'hußtre - Le pain - Escargots - Le papillon - Le gymnaste Les trois boutiques - Faune et flore - La crevette - Végétation - Le galet ; 192 Pages; 5,40 ⏠ISBN : -0; Date de parution : 18/08/2021; Dimensions : 12.4x17.7 cm
IUn poĂšme moderne Le thĂšme du poĂšme est surprenant car il s'agit d'un objet ordinaire, prosaĂŻque une huĂźtre. Il est trĂšs Ă©loignĂ© des thĂšmes classiques de la poĂ©sie traditionnelle. Le poĂšme est Ă©crit en prose et non en vers, il est construit autour de trois paragraphes de plus en plus courts, sans blancs typographiques, ce qui donne l'impression d'un texte serrĂ©, Ă l'image de l'objet Ă©voquĂ©. Le texte du poĂšme peut faire penser Ă une dĂ©finition d'objet plutĂŽt qu'Ă un poĂšme. IIUn poĂšme descriptif La description de l'objet est minutieuse et objective le titre fait penser Ă celui d'un article de dictionnaire, il est simple et prĂ©cis. Dans le poĂšme, le temps employĂ© est le prĂ©sent gnomique "est", "on peut", "il faut". Les adjectifs sont nombreux "moyen", "rugueuse", "visqueux", "verdĂątre". La description est prĂ©cise et porte sur tous les aspects de l'huĂźtre. Elle renseigne le lecteur sur sa taille "de la grosseur d'un galet moyen". L'utilisation de cette comparaison permet au lecteur qui n'aurait jamais vu cet objet de se le reprĂ©senter immĂ©diatement. Cela est Ă©galement le cas pour sa forme "de la taille d'un galet moyen" et sa couleur grĂące Ă de nombreux adjectifs "moins unie", "brillamment blanchĂątre", "verdĂątre", "noirĂątre". Le suffixe -Ăątre confĂšre d'ailleurs Ă la description une tonalitĂ© pĂ©jorative, loin de toute idĂ©alisation de l'objet poĂ©tique. Les cinq sens sont mis Ă profit afin de proposer une dĂ©finition sensorielle prĂ©cise. La vue est prĂ©sente Ă travers les termes "unie", "ronds blancs", "blanchĂątre", "verdĂątre", "noirĂątre". L'ouĂŻe est prĂ©sente Ă travers "les coups". L'odorat est prĂ©sent grĂące aux verbes "flue et reflue Ă l'odeur". Le toucher est Ă©voquĂ© avec "nacre" et des adjectifs comme "rugueuse" et "visqueux". GrĂące Ă ces Ă©lĂ©ments, le lecteur peut crĂ©er une reprĂ©sentation mentale de l'objet. Cela renvoie Ă la conception de Francis Ponge qui dĂ©cide de "prendre le parti des choses" comme le suggĂšre le titre du recueil. IIIUn poĂšme Ă l'image de l'objet dĂ©crit Il y a une analogie entre l'objet dĂ©crit et le poĂšme car ce dernier est constituĂ© de trois paragraphes portant sur un aspect de l'objet. Le premier paragraphe dĂ©crit l'extĂ©rieur de l'huĂźtre et explique comment l'ouvrir. Le deuxiĂšme paragraphe dĂ©crit l'intĂ©rieur de l'huĂźtre, le mollusque. Le dernier paragraphe fait mention de la perle cachĂ©e en son sein. Les trois paragraphes sont de plus en plus petits, comme les Ă©lĂ©ments de l'huĂźtre dĂ©crits la coquille, le mollusque, la perle. Certains mots, de par leur graphie, font Ă©cho Ă l'objet. En effet, la terminaison -Ăątre est prĂ©sente Ă travers les mots suivants "blanchĂątre", "verdĂątre", "noirĂątre", "opiniĂątrement". De mĂȘme, les allitĂ©rations, notamment celle du son [k], permettent d'illustrer les actions Ă©voquĂ©es. La difficultĂ© liĂ©e Ă l'ouverture de la coquille est ainsi Ă©voquĂ©e Ă travers cette allitĂ©ration qui Ă©voque les coups portĂ©s "coups", "qu'on", "cassent", "coupent". IVLa symbolique de l'huĂźtre La place de l'huĂźtre dans le monde est Ă©voquĂ©e comme elle le serait pour un personnage littĂ©raire ordinaire. Les expressions suivantes "tout un monde", "Ă boire et Ă manger", "cieux", "firmament" semblent suggĂ©rer que l'huĂźtre constitue un microcosme, elle se suffit Ă elle-mĂȘme. L'huĂźtre est d'ailleurs composĂ©e de trois Ă©lĂ©ments l'eau Ă travers la "mare" et les verbes conjuguĂ©s "flue et reflue" qui peuvent faire penser Ă la marĂ©e ; le ciel Ă travers "les cieux d'en dessus" et "les cieux d'en dessous" ce qui peut faire rĂ©fĂ©rence Ă la terre, cernĂ©e par les cieux ; enfin la terre et le minĂ©ral grĂące aux termes "galet", "nacre", "dentelle". L'Homme est seulement mentionnĂ©, il est rĂ©duit Ă l'aide d'une mĂ©tonymie Ă des "doigts" qui sont "curieux", ils se coupent et se "cassent les ongles". Il y a la prĂ©sence de tournures impersonnelles "il faut", "on" qui empĂȘche d'individualiser l'Homme. Cependant, l'huĂźtre est tout de mĂȘme soumise Ă l'Homme comme en tĂ©moignent les verbes employĂ©s "ouvrir", "tenir", "porte", "trouve". VLa mĂ©taphore de l'Ă©criture poĂ©tique Ce poĂšme raconte Ă travers une mĂ©taphore le travail d'Ă©criture poĂ©tique auquel est confrontĂ© le poĂšte. Ainsi le premier paragraphe reprĂ©sente la recherche, la crĂ©ation. Contrairement aux poĂštes qui parlent d'inspiration poĂ©tique ici, il est bien question de travail. La difficultĂ© que rencontre l'Homme Ă ouvrir l'huĂźtre symbolise la difficultĂ© que peut rencontrer le poĂšte lors de l'Ă©criture "s'y reprendre Ă plusieurs fois", "le travail", "les coups". Il s'agit d'une lutte plutĂŽt violente entre l'Homme et l'objet. Ensuite, l'Homme accĂšde Ă "tout un monde", le mollusque est dĂ©crit de maniĂšre esthĂ©tique "dentelle", "firmament", "cieux", "nacre". Tout comme le mollusque, le texte poĂ©tique, avant de devenir poĂšme, doit ĂȘtre travaillĂ© au niveau de la forme, de son esthĂ©tique. Enfin, le poĂšte accĂšde Ă la perle qu'il trouve. MĂȘme s'il faut lutter pour le trouver, un monde meilleur et plus beau reste accessible, il est Ă trouver rĂ©pĂ©tĂ© deux fois dans le poĂšme. Ce verbe est issu du latin tropare, qui signifie "inventer, dĂ©couvrir, composer un poĂšme". La derniĂšre phrase fait rĂ©fĂ©rence Ă la trouvaille du poĂšte, Ă l'objet créé par le travail d'Ă©criture, le poĂšme rare et prĂ©cieux "dont on trouve Ă s'orner." Qu'est-ce qui rend ce texte poĂ©tique ?I. Le travail sur la formeII. La crĂ©ation d'images esthĂ©tiquesIII. La rĂ©flexion sur la crĂ©ation poĂ©tiqueComment Ponge renouvelle-t-il le regard portĂ© sur l'huĂźtre ?I. Une description minutieuseII. Une description imagĂ©eIII. L'huĂźtre, symbole de crĂ©ation littĂ©raireEn quoi ce poĂšme est-il moderne ?I. Un objet poĂ©tique originalII. Une Ă©criture objectiveIII. Un objet mĂ©taphoriqueQuelle conception de la poĂ©sie se dĂ©gage de ce poĂšme ?I. Un poĂšme en proseII. Un poĂšme objectifIII. Le travail de l'Ă©crivain
FrancisPonge, « L'HuĂźtre », dans Le Parti pris des choses (1942) Commentaire composĂ© Par Laurent FOURCAUT (IUFM de Paris) Introduction * LâĆuvre poĂ©tique de Francis Ponge est une des plus importantes de la seconde moitiĂ© du XXe siĂšcle. Une de ses caractĂ©ristiques majeures est sans doute quâelle prend acte de la
Voici une description de l'huĂźtre vue par Francis PONGE Francis Ponge - Le parti pris des choses 1942L'huĂźtreL'huĂźtre, de la grosseur d'un galet moyen, est d'une apparence plus rugueuse, d'une couleur moins unie, brillamment blanchĂątre. C'est un monde opiniĂątrement clos. Pourtant on peut l'ouvrir il faut alors la tenir au creux d'un torchon, se servir d'un couteau Ă©brĂ©chĂ© et peu franc, s'y reprendre Ă plusieurs fois. Les doigts curieux s'y coupent, s'y cassent les ongles c'est un travail grossier. Les coups qu'on lui porte marquent son enveloppe de ronds blancs, d'une sorte de l'intĂ©rieur l'on trouve tout un monde, Ă boire et Ă manger sous un firmament Ă proprement parler de nacre, les cieux d'en dessus s'affaissent sur les cieux d'en dessous, pour ne plus former qu'une mare, un sachet visqueux et verdĂątre, qui flue et reflue Ă l'odeur et Ă la vue, frangĂ© d'une dentelle noirĂątre sur les trĂšs rare une formule perle Ă leur gosier de nacre, d'oĂč l'on trouve aussitĂŽt Ă s'orner. La derniĂšre de Patrick SĂ©bastien
Lhuitre paraßt dans Le Parti pris des choses, c'est un recueil de poÚmes en prose qui paraßt en 1942. Titre contradictoire car les choses, objets sans conscience, ne peuvent prendre partie. Dans ce recueil, le poÚte décrit des objets banals, quotidiens. Il refuse le lyrisme, et l'utilisation d'un langage artificiel. La poésie doit venir
Vous ferez de ce poĂšme un commentaire littĂ©raire. LES PLAISIRS DE LA PORTE Les rois ne touchent pas aux ne connaissent pas ce bonheur pousser devant soi avec douceur ou rudesse l'un de ces grands panneaux familiers, se retourner vers lui pour le remettre en place, - tenir dans ses bras une bonheur d'empoigner au ventre par son nœud de porcelaine l'un de ces hauts obstacles d'une piĂšce; ce corps Ă corps rapide par lequel un instant la marche retenue, l'œil s'ouvre et le corps tout entier s'accommode Ă son nouvel main amicale il la retient encore, avant de la repousser dĂ©cidĂ©ment et s'enclore, - ce dont le dĂ©clic du ressort puissant mais bien huilĂ© agrĂ©ablement l'assure. Francis PONGE Le parti pris des choses »Introduction Difficile de ranger Francis Ponge dans un genre littĂ©raire tant son œuvre bouillonne d'imagination et d'excentricitĂ©...Ponge pose des mots comme on dessine un parcours, un trajet, une expĂ©rience vĂ©cue. Il est en quĂȘte d'une rencontre avec un monde de sensations qui pourrait le rĂ©concilier avec la beautĂ© et l'intensitĂ© de la vie. Loin d'ĂȘtre une fuite, un refuge pour Ăąmes cabossĂ©es, sa poĂ©sie est une conquĂȘte ou plutĂŽt une homologation du rĂ©el. Son Ă©criture est une machine Ă ĂȘtre, une porte ouverte entre plaisirs et misĂšres de l'existence. Il ne cherche pas l'objet de farce il reste toujours, petit jeu de mot, aux portes de la rĂ©alitĂ© en nous offrant un texte Ă dĂ©chiffrer, Ă interprĂ©ter, Ă scruter et dĂ©guster. Chaque objet dĂ©crit devient presque un personnage Ă part entiĂšre. Au lecteur de s'y arrimer ! Dans Les plaisirs de la porte », Ponge se jette corps et Ăąme dans un projet trublion, partant d'un sujet revĂȘche et respectant son pari, le parti-pris d'un voyez-vous ça !». Son poĂšme en prose est parsemĂ© de rĂ©fĂ©rences ou de rĂ©flexions surprenantes sur la porte, point de dĂ©part ou d'arrivĂ©e, avec ses surgissements inopinĂ©s. Le pas de porte ouvrant sur un espace du dedans, un monde clos sur lequel on dĂ©cide d'avoir prise, si l'on dĂ©cide de s'accommoder de cette sĂ©questration. Dans un premier lieu, nous montrerons que le poĂšte se propose de nous conduire Ă l'assaut de la rĂ©alitĂ© domestique en nous faisant dĂ©couvrir l'un des plus modestes objets une porte, dont il observe tout Ă loisir le mĂ©canisme. Dans un deuxiĂšme temps, il conviendra d'apprĂ©cier le dĂ©fi que se lance l'auteur saisir le monde tel qu'il est, dans sa matĂ©rialitĂ©, mais aussi sous l'angle de ses rĂ©percussions dans notre conscience. I. Une porte, Ă la dĂ©robĂ©e...A. Un rĂ©seau de relations qui dĂ©finit une forme Le vers liminaire, un octosyllabe bien chaloupĂ©, sert d'Ă©crin Ă une boutade chagrine ceux qui portent couronne ne touchent pas aux portes ». Ponge a recours au prĂ©sent de vĂ©ritĂ© gĂ©nĂ©rale, comme s'il Ă©crivait une page de dictionnaire. D'emblĂ©e, il se livre au jeu de mot Ă propos du sĂ©mantisme de porte » ceux qui portent beau, ceux que l'on porte aux nues autrement dit, les tĂȘtes couronnĂ©es, ne connaissent pas ce bonheur ». Une passivitĂ© malheureuse, si l'on en croit notre auteur... C'est le rĂŽle des portiers d'ambassade, des soldats de conciergerie que de faire la sentinelle, de veiller aux grandes portes ! Les Romains, dans l'ancien temps, avaient dĂ©jĂ leurs factionnaires les dieux lares et autres divinitĂ©s du sol. Dans la Rome antique, la maison Ă©tait protĂ©gĂ©e par une divinitĂ© domestique particuliĂšre Forculus garde la porte, Limentinus la pierre du seuil, et Cardea les gonds. Dans l'esprit du lecteur dĂ©filent les souvenirs les valets de Chambre du Roi et autres garçons de garde-robe, les capitaines de porte » de Louis XIV, portant livrĂ©e et hallebarde... Sous l'ancien rĂ©gime, on les recrutait en Suisse ! Ceci dit, les rois ne connaissent pas ce bonheur », prend soin de prĂ©ciser le poĂšte, d'exercer une pression sur ces panneaux familiers », pour faire pivoter la porte... Donc, les rois ne sont pas portĂ©s sur la chose, un cortĂšge de portiers leur ouvrant la voie. Ah...les funestes rĂšgles de l'Ă©tiquette ! Ouvrir une porte est pourtant un cĂ©rĂ©monial trĂšs ritualisĂ©. Pousser une porte nĂ©cessite un mouvement de va-et-vient il s'agit de pousser devant soi » l'un des deux vantaux et de se retourner vers lui pour le remettre en place ». Cela va de soi. Les antithĂšses mettent en valeur ce mouvement. La prĂ©position devant » exprime une antĂ©rioritĂ© spatiale alors que l'autre prĂ©position vers » indique la direction vers laquelle s'effectue un dĂ©placement ici, la fermeture de la porte. Les deux pronoms s'opposent soi » est un pronom personnel rĂ©flĂ©chi, qui renvoie Ă un sujet indĂ©terminĂ©, indĂ©fini, alors que le pronom de la troisiĂšme personne lui » joue le rĂŽle de substitut du mot panneau ». L'oscillation du battant de porte est Ă©voquĂ©e dans ce paragraphe par une cadence de la phrase, que rythme l'alexandrin. Ponge se sert du vers hĂ©roĂŻque, du grand vers de douze syllabes, qui se glisse subrepticement dans la prose. Les alexandrins, des vers usĂ©s jusqu'Ă la corde, emprisonnent le premier paragraphe, comme s'ils servaient eux aussi d'abattants, de volets. Tout cela Ă l'image des vantaux de la porte qui se referment sur une piĂšce quelconque. Au premier alexandrin pousser devant soi avec douceur ou rudesse » rĂ©pond un deuxiĂšme se retourner pour le remettre en place ». De la mĂȘme façon, la masse textuelle est encadrĂ©e par deux octosyllabes Ă l'entame du poĂšme, Les rois ne touchent pas aux portes », et en clĂŽture aprĂšs le trait d'union, tenir dans ses bras une porte ». La structure du premier paragraphe correspond Ă un emboĂźtement deux octosyllabes encadrant les deux alexandrins. Cette disposition emboĂźtĂ©e fait penser aux poupĂ©es russes s'encastrant les unes dans les autres.[phrase de liaison vers la seconde sous-partie de ce premier dĂ©veloppement, qui annonce la suite de son propos] Les poupĂ©es gigognes mĂ©nagent une forme de suspense qui joue avec le sentiment d'incertitude du lecteur. Tout comme les portes, le principe mĂȘme de fonctionnement du suspense repose sur le mĂ©canisme d'un obstacle ! B. Le suspense dans le poĂšme... Ponge fait comme si on ne savait pas grand-chose sur cette trappe d'accĂšs, ouvrant sur les taniĂšres humaines, sur nos souriciĂšres... On peut enfoncer une porte Ă coups de pied, ou Ă coups de poing, donc avec rudesse », selon que l'on soit le bienvenu ou pas... Ou bien l'ouvrir dĂ©licatement, avec douceur »... Ouvrir une porte, c'est s'offrir l'accĂšs Ă un monde hostile ou bienveillant. C'est selon. On l'aura compris, on peut user de la force ou non. La porte est avant toute chose un obstacle, c'est une paroi qui arrĂȘte la progression ou le passage de quelqu'un. La porte barre les routes, impossible de la contourner. On notera dans le texte la reprise rigoureusement symĂ©trique du complĂ©ment du verbe l'un de ces grands panneaux familiers » dans le second paragraphe oĂč il est question d'empoigner l'un de ces hauts obstacles d'une piĂšce ». Une redondance qui repose sur le principe de la construction pronominale spĂ©cifique dans ces deux segments de phrase le pronom un », prĂ©cĂ©dĂ© de l'article Ă©lidĂ©, est suivi de son complĂ©ment partitif de ces panneaux », de ces obstacles », les deux groupes prĂ©positionnels marquant ici l'opposition entre les parties mobiles de la porte. La symĂ©trie n'est pas que grammaticale. Au-delĂ de la correspondance entre ces phrases, les deux complĂ©ments d'objet forment quasiment deux ennĂ©asyllabes vers de neuf syllabes. Le suspense, qui reste ici un jeu innocent, repose sur le jeu des digressions. Digressions qui s'efforcent d'exprimer les concepts de maniĂšre oblique. Ponge, qui refuse de s'abandonner au pittoresque anecdotique, nous propose d'examiner une drĂŽle de machine comportant des parties mobiles les vantaux ou abattants. Tout le poĂšme se rĂ©sume Ă cette interminable confrontation avec un Ă©lĂ©ment-clĂ© de tout Ă©difice. Confrontation qui tend Ă anthropomorphiser la porte, puisqu'il est question de son ventre » au sens propre, le mot dĂ©signe la cavitĂ© abdominale des ĂȘtres humains. Par mĂ©tonymie, le ventre » de la porte dĂ©signe cet ulcĂšre, cette partie protubĂ©rante c'est-Ă -dire le dispositif qui permet de commander l'ouverture ou la fermeture de la porte qu'on appelle serrure. L'auteur s'intĂ©resse surtout Ă sa poignĂ©e le nœud de porcelaine ». La poignĂ©e pousse l'impĂ©trant Ă engager un corps Ă corps » assez rapide » avec cet obstacle massif... La phrase montre une rĂ©gularitĂ© presque mĂ©tronomique les segments Le bonheur d'empoigner au ventre par son nœud » et par lequel un instant la marche retenue » sont ciselĂ©s comme des alexandrins. Le contact avec la porte est une empoignĂ©e ! On saisit Ă pleines mains cette masse, la partie de cet objet nous permet de la manœuvrer, avec douceur » ou bien avec rudesse ». Un contact familier panneaux familiers » qui rĂ©active le thĂšme des dieux familiers, des dieux lares les dieux de la maisonnĂ©e, les lares familiares ou lares domestici. Une certaine sensualitĂ© se glisse dans l'expression corps Ă corps rapide », soulignĂ©e par les Ă©lĂ©ments allitĂ©rĂ©s allitĂ©ration des consonnes gutturales /r/. Le lecteur peut imaginer une empoignade sensuelle, exclusivement limitĂ©e au temps du plaisir de toucher la poignĂ©e. Un bonheur bref mais intense. Une simple poignĂ©e en porcelaine nous ouvre tout un horizon il suffit d'ouvrir les yeux... Exercice salutaire que de tourner la clenche ! Il faut mettre du cœur au ventre ! En se rappelant que toute porte ouvre sur un cul-de-sac...II. Art et signification...A. Le poĂšme en prose une dynamique du langage au service du sens. On pousse des portes sans vraiment savoir ce que l'on va trouver derriĂšre. N'est-ce pas une façon symbolique de dĂ©finir ce qu'est la vie ? Il y a les portes de prison, les portes du paradis avec son guetteur, le portier des Ă©lus, les portes de l'enfer avec son gardien de maison, le nautonnier Charon et son fidĂšle CerbĂšre, les portes de la mort, du futur, comme on voudra... La porte, dans son ensemble, dans les mentalitĂ©s d'autrefois, Ă©tait placĂ©e sous la protection de Janus, ce dieu qui prĂ©sidait aux commencements notamment au mois qui se trouve Ă l'ouverture de l'annĂ©e, Janus est Ă l'origine du mot janvier et aux passages. D'ailleurs, il faut bien le dire, Ponge commence par le commencement. Et tout comme le prĂ©tendait d'ailleurs, et avec malice, le prince de Ligne dans ses mĂ©moires, en amour, il n'y a que les commencements qui soient charmants ». Notre auteur va mettre l'accent sur l'accomplissement d'une tĂąche spontanĂ©e consistant Ă verrouiller un local, le plus souvent notre Ă©crin familier, bref, Ă donner un tour d'Ă©crou pour permettre Ă la porte de faire Ă©cran... Une formidable Ă©nergie verbale doublĂ©e par le raffinement langagier Ă©mane de ce texte poĂ©tique. Une Ă©nergie qui trouve sa source dans l'ambition du poĂšte de prendre Ă bras le corps le monde tel qu'il est tenir dans ses bras une porte ». Dans ce corps Ă corps avec le monde des objets s'imposent les traces charnelles des humains mĂ©moire kinesthĂ©sique, sensations visuelles ou auditives, perceptions synesthĂ©siques. PrĂ©cisons...Toute porte implique un mouvement de dĂ©portation ou plutĂŽt de dĂ©portement. Il faut faire un Ă©cart pour refermer la porte. On le pressent, la maniĂšre de dĂ©crire de Ponge se trouve toujours Ă mi-chemin de la description scientifique ou technique et de l'article de dictionnaire. Puis, on glisse de la rĂ©alitĂ© matĂ©rielle, sensible, Ă des reprĂ©sentations mentales qui sont rĂ©activĂ©es par les mots ou bien par l'Ă©tymologie. Notre texte relĂšve de cette conception dynamique du langage pas Ă pas, mot Ă mot, le lecteur redĂ©couvre les diffĂ©rentes facettes d'un objet. Comme dans le Cageot ». Un Ă©crivain qui manque d'allure ne porte pas, comme l'on dit dans les milieux littĂ©raires. Une observation s'impose c'est dans la succession des mots que s'engendre le sens. Le thĂšme de l'ouverture et de la fermeture de la porte dĂ©bouchant sur une logique territoriale, la porte indiquant une ligne de dĂ©marcation ». L'Ă©crivain brouille parfois les pistes en abusant du procĂ©dĂ© de la syllepse figure de style, procĂ©dĂ© littĂ©raire qui consiste Ă employer un mot Ă la fois dans son sens propre âsens non tropique â et au sens dĂ©rivĂ©, figurĂ© â sens tropique -. Par exemple, le nœud de porcelaine » la poignĂ©e, sorte d'œil cyclopĂ©en exorbitĂ© joue le rĂŽle de point de jonction entre le panneau » et la main amicale ». Rien Ă voir avec les cordages. Le mot nœud » est Ă prendre peut-ĂȘtre au sens mĂ©taphorique par analogie avec les nœuds de marin dans ce sens figurĂ©, le terme veut dire point de rencontre ». La poignĂ©e, c'est le nœud de l'affaire, le nœud vital ! Sans compter que les portes en chĂȘne peuvent aussi prĂ©senter des nœuds points de ramification. Ou alors, le lecteur peut considĂ©rer que la poignĂ©e de porcelaine prĂ©sente la forme d'un nodule latin classique nodulus, qui signifiait petit nœud ». Ponge joue avec la matiĂšre Ă©tymologique, qui cesse d'ĂȘtre muette voir par exemple, L'huĂźtre », ou bien encore Le mimosa » dans le recueil La rage de l'expression » - 1952. L'auteur peut s'intĂ©resser aussi aux consonances des mots qu'il emploie. La composition des Plaisirs de la porte », trĂšs musicale parfois, nous fait entrer dans un jeu de sonoritĂ©s le chiasme phonique du vers liminaire roi », portes », les sifflantes qui semblent reproduire par onomatopĂ©e le glissement de la porte au ras du paillasson repousser », s'enclore », ressort puissant », l'assure ». Inutile de s'imaginer le grincement d'une porte teigneuse, puisque le ressort puissant » - sans doute la gĂąche dans laquelle s'engage le penne de la serrure pour tenir le battant fermĂ© - est prĂ©tendu bien huilĂ© ». Le style se veut prĂ©cieux parfois, en tĂ©moignent certains mots vieillis comme s'enclore » emploi pronominal rĂ©flĂ©chi du verbe enclore. Quand on rentre chez soi, finalement, on s'entoure d'une clĂŽture, d'une palissade. Une dĂ©tention Ă huis clos, un emprisonnement volontaire... Vertus publiques, vices cachĂ©s. Une expression typiquement française, pour ne pas dire proverbiale, nous enseigne que pour vivre heureux, il faut vivre cachĂ© ! Home, sweet home ! dĂ©clament les anglo-saxons. Bon, ce n'est peut-ĂȘtre pas la vie de chĂąteau, ironise Ponge dĂšs la premiĂšre ligne de son poĂšme, mais c'est lĂ oĂč se trouve notre bonheur » la redondance de ce terme dans les deux premiers paragraphes met en relief ce dĂ©sir de rentrer Ă la maison colorĂ© par une satisfaction. Ce que ne saurait dĂ©mentir la clausule du poĂšme le dĂ©clic de la gĂąche assure » le rĂ©sident ... Le verbe assurer », dans un sens trĂšs littĂ©raire, veut dire rassurer », affermir le courage d'une personne. L'une des fonctions de la porte consiste, Ă n'en pas douter, Ă barrer l'accĂšs Ă la voie publique. Toute personne franchissant le seuil acquiert la qualitĂ© de rĂ©sident, de sĂ©dentaire. Voyager, disait un philosophe, c'est chercher bien loin l'envie de s'en retourner trĂšs vite ... chez soi ![phrase de liaison vers la derniĂšre sous-partie de son dĂ©veloppement] Cette thĂ©matique de l'enclave nous amĂšne naturellement Ă nous interroger sur le sens, la signification du projet de Francis L'art de Francis Ponge la finesse d'une observation philosophique, un eudĂ©monisme paganiste... Le poĂšte lance un dĂ©fi Ă l'art contemporain il brise les codes de l'art poĂ©tique, les frontiĂšres de l'espace...Il semble nous dire qu'il faut se mĂ©fier de ce qui est trop banal, trop insignifiant.... Il invente une stratĂ©gie nouvelle pour produire du sens, au moyen d'une micro-narration. Il confronte le lecteur Ă des objets familiers, en lui offrant des outils pour regarder diffĂ©remment ce monde tour Ă tour sensoriel, affectif, visuel, conceptuel... Le poĂšme devient en quelque sorte un espace d'imagination collective. Ecrire, c'est lutter mot Ă mot pour dire ce que l'on ne comprenait pas avant de le dire... Et pourquoi pas, trouver quelque chose d'original pour susciter l'admiration. Pour cela, il faut inscrire l'objet dans l'apparente banalitĂ© des jours, puis dĂ©busquer des petites bizarreries. Une façon Ă la fois dĂ©bridĂ©e et savante de raconter, de dĂ©crire...Ce qui n'a rien Ă voir avec les dĂ©lires et autres ratiocinations spĂ©culatives du surrĂ©alisme ! Le titre de ce poĂšme en prose laisse entendre que nul ne saurait bouder son plaisir, celui de planter nos pĂ©nates le corps tout entier s'accommode Ă son nouvel appartement ». Ponge, fĂ©ru en Ă©tymologie, n'ignore pas que le mot appartement » est issu du latin et signifie se sĂ©parer », se mettre Ă part »... La porte introduit une subdivision toute construction possĂšde plusieurs piĂšces, qui elles-mĂȘmes, remplissent une fonction spĂ©cifique autre syllepse de sens, ici. La porte » voulait dire Ă l'origine passage » par opposition Ă fores ». L'obturation de la baie s'effectue d'une main amicale », ... Fermer la porte, c'est interdire l'accĂšs Ă un chez-soi ; rien Ă voir avec l'open door et le libre accĂšs au public. Enfin seuls ! », semble nous dire le poĂšte... D'oĂč l'emploi de l'adverbe Ă valeur hyperbolique dĂ©cidĂ©ment » qui tend Ă exprimer que l'on ferme une porte irrĂ©vocablement, d'une maniĂšre bien dĂ©cidĂ©e. Pas de place pour l'alĂ©atoire ou un entre-deux de porte, ni pour les battants entrouverts ou les portes entrebĂąillĂ©es... On ne fait pas les choses Ă demi. Et cela, Alfred de Musset l'avait compris Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermĂ©e » piĂšce de théùtre intitulĂ©e Proverbe » et publiĂ©e dans la Revue des Deux Mondes en 1845. Ferme rĂ©solution aprĂšs la marche retenue » que de nous enfermer dans nos caponniĂšres, nos casemates ou gibernes ! Ici, le mouvement lĂ©ger de ce pas de deux presque dansĂ© s'oppose Ă la pesanteur massive du chĂąssis de la porte. Les gestes les plus simples sont chargĂ©s de sens fermer la porte est, pour notre poĂšte, une vĂ©ritable chorĂ©graphie ! Il se propose de multiplier les voies d'accĂšs, les voies d'entrĂ©e dans la rĂ©alitĂ© domestique, un moment intime qui nous happe, qui accroche notre regard. Un prĂ©sent qui dĂ©borde notre vision habituelle... Le rythme, l'agencement des phrases, l'amalgame de la prose et du vers libre caractĂ©risent le poĂšme en prose... La progression, dans ces lignes, obĂ©it Ă la rĂšgle de la consĂ©cution. La prouesse de Francis Ponge, artiste plasticien et avant tout conceptuel, rĂ©side dans le fait qu'il parvient Ă nous faire accepter l'irruption dans l'Ă©criture poĂ©tique de ce qui est banal... Le Parti pris des choses » est une sorte de catalogue hĂ©tĂ©roclite, un inventaire Ă la Jacques PrĂ©vert, parti jeu de mot involontaire Ă la recherche non pas d'un ailleurs, mais d'un quotidien que l'auteur parvient Ă sublimer. Sa poĂ©sie est celle d'une subjectivitĂ© totale, celle de l'homoncule philosophe qui dĂ©place les bornes de notre horizon. Et mieux contester la disparition du beau !CONCLUSION[premier alinĂ©a reprise d'ensemble des commentaires dĂ©veloppĂ©s prĂ©cĂ©demment, des pistes d'exploration] Ponge, dont l'hermĂ©tisme littĂ©raire n'est pas vraiment justifiĂ©, nous mitonne des poĂšmes en prose pour nous faire dĂ©couvrir ou simplement savourer la beautĂ©, la plasticitĂ© et l'Ă©trangetĂ© parfois des choses. Les objets trouvent enfin leur place dans le monde. Le poĂšte sublime l'art du coup d'essai dans une langue qui taille dans le vif, dans la chair des mots. Bref, les choses se transforment en mots sur le papier. Ponge se pose en graphiste surdouĂ© dans l'art du graffiti. Il restitue scrupuleusement les ambiances, les couleurs, les usages, les dits et non-dits. Loin du surrĂ©alisme, guidĂ© par le seul souci de la crĂ©dibilitĂ©, le poĂšte se fait imagier. Un peu Ă l'exemple des sculpteurs dans l'art funĂ©raire, immortalisant gisants et transis. C'est du grand art que de rĂ©ussir Ă dĂ©crire avec des mots simples. De dĂ©cliner des verbes, avec les temps simples de la conjugaison Ă©lĂ©mentaire...[synthĂšse de gĂ©nĂ©ralisation, avec pour point de mire le recueil de poĂšmes en prose] Le recueil intitulĂ© Le Parti pris des choses » nous emporte par son Ă©rudition, son humour parfois.... Un tour de force, mais minimaliste, afin que nous ne restions pas Ă©trangers au monde et donc Ă nous-mĂȘmes. Ponge est un amoureux des mots qui rend Ă©ternelle la raison d'ĂȘtre d'un lieu, d'un objet domestique, d'un ustensile... Il nous rappelle que la crĂ©ation littĂ©raire est avant tout une invention de formes nouvelles... Dans le mĂȘme temps, le langage, pour lui, est non pas une re-crĂ©ation » mais plutĂŽt une re-prĂ©sentation » qui dilate nos cœurs.[ouverture du point de vue, Ă©largissement du dĂ©bat en essayant d'apprĂ©hender l'œuvre de Ponge d'une maniĂšre originale, par exemple en faisant rĂ©fĂ©rence au pĂ©dopsychiatre Winnicott, qui a Ă©tudiĂ© l'interrelation psychosomatique induite par l'objet transitionnel] L'art poĂ©tique de Francis Ponge se fonde sur une esthĂ©tique de l'observation, plus que de la suggestion. Une chimie mystĂ©rieuse, une martingale qu'il nous faudrait suivre pour mieux apprĂ©cier le monde tel qu'il est, pour dĂ©terminer l'importance de telle ou telle chose. La poĂ©sie pongienne, un propos tranquillisant qui agirait comme un objet transitionnel ? Travail personnel du professeur, Bernard MirgainConseils de lecture *Pascal Dibie "Ethnologie de la porte, des passages et des seuils" - Ă©ditions MĂ©tailiĂ© - Paris - 2012 - 423 pages*Jean-Philippe Toussaint La salle de bain » - Editions de Minuit - 1985*Isabelle Serça EsthĂ©tique de la ponctuation » - Ă©ditions Gallimard â Nouvelle Revue Française - 320 pages â 2012*Francis Ponge Le Parti pris des choses » - collection Folioplus classiques - excellentes analyses d'Emilie FrĂ©mond, agrĂ©gĂ©e de lettresâDa ich nichts anderes bin als litteratur und nichts anderes sein kann und willââ Franz Kafka
uHOsZI.